par Carole Ulmer, le jeudi 16 décembre 2010

Adoptée par le collège des commissaires le 19 octobre 2010, la Communication sur la révision des perspectives financières fait souffler un vent nouveau sur le débat budgétaire européen. "La question n'est pas de savoir si on doit dépenser plus ou moins, elle est de construire des moyens de dépenser plus intelligemment". Tout est là. Exit les aménagements à la marge de chaque catégorie de dépenses ; c'est bel et bien une vision


1- Un Réexamen du budget communautaire riche et prometteur

Adoptée par le collège des commissaires le 19 octobre 2010, la Communication sur la révision des perspectives financières fait souffler un vent nouveau sur le débat budgétaire européen. "La question n'est pas de savoir si on doit dépenser plus ou moins, elle est de construire des moyens de dépenser plus intelligemment". Tout est là. Exit les aménagements à la marge de chaque catégorie de dépenses ; c'est bel et bien une vision holistique et une stratégie politique que la Commission entend proposer avec ce texte. Dans ce "budget pour l'avenir", valeur ajoutée européenne, qualité des dépenses et orientations vers les résultats sont les concepts clés. "Le but est de trouver les moyens de garantir une meilleure utilisation du budget en vue de la réalisation des objectifs de l'UE". Véritable "clef de voute de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive", la Commission entend ainsi donner vie à cette dernière en se donnant les moyens de financer les priorités qui y sont définies. Une bonne chose en effet.

Deux constats sous-tendent cette nouvelle orientation : l'Union est arrivée à la fin d'une époque et la crise a souligné le besoin d'investissements communs pour la croissance. Le temps d'un budget redistributif fondé sur le "juste retour" et les débats strictement comptables ne peuvent perdurer, le système est "à bout de souffle". Dans son discours sur l'Etat de l'Union, Le Président Barroso a confirmé la volonté de la Commission d'ouvrir le débat sur les ressources propres de l'Union pour obtenir un "système plus juste et plus efficace". Sept options sont mises à l'étude dans la communication. Une petite révolution, qui n'a pas manqué de susciter réactions et oppositions, principalement de David Cameron.

Deuxième élément, rappelons que la solidarité est un des piliers de l'Union européenne (article 3 du Traité de Lisbonne) et que "le budget constitue un élément indispensable de la stratégie d'action" de l'Union en ce sens. Le budget communautaire n'est pas de même nature que les budgets nationaux. Il s'agit d'un budget d'investissements au service de politiques communautaires. En cette période de contraintes budgétaires fortes, la Commission entend fonder la construction de son budget sur le concept de valeur ajoutée : Les dépenses engagées au niveau de l'UE doivent se révéler plus profitables aux citoyens que si elles avaient été engagées au niveau national. Maximisation de l'usage des finances publiques, économies d'échelles et synergies sont autant d'arguments avancés pour expliciter l'intérêt d'une plus grande coopération entre budgets nationaux et budget européen.

Dépenser plus intelligemment pour un budget orienté vers les résultats, autre petite révolution dans cette révision des perspectives financières. Plus discrète et moins commentée, cette innovation n'en est pas moins cruciale. De nouveaux types d'instruments financiers retiennent ainsi l'attention particulière de la Commission. Cette dernière évoque le rôle du budget comme levier pour le financement d'investissements stratégiques de long terme. " Pour les projets européens présentant un potentiel commercial à long terme, la norme devrait être que les fonds de l'UE sont utilisés dans le cadre de partenariats avec les secteurs privés et bancaires, notamment via la Banque européenne d'investissement (BEI)". Par des mécanismes divers d'incitations visant à améliorer le rating de ces projets sélectionnés par l'Union (Project bonds), le budget viendrait soutenir des investissements réalisés par des instances privées. De lourds investissements sont nécessaires dans les domaines tels que les technologies vertes, les infrastructures et la sécurité énergétique. Dépassant les capacités budgétaires de l'Union, ces projets recevraient ainsi des aides (incitations, garanties, financement ?) de la part du budget européen s'ils répondent aux besoins stratégiques de l'Union et à des critères de viabilité stricts. L'expérience déjà existante de combinaisons entre subventions provenant du budget européen et de prêts accordés par la BEI ou d'autres institutions financières pourrait ainsi être étendue et généralisée. Concernant des projets de grande envergure européenne, tels que Galileo, ITER, une "solution consisterait à créer une structure d'appui, sous la forme d'une entité distincte à la bonne gestion de laquelle l'UE veillerait de près et à laquelle le budget de l'UE apporterait une contribution stable sous la forme d'un montant annuel fixe". Reste la proposition d'emprunts obligataires européens (Eurobonds) pour de grands projets d'intérêt stratégique, absente du document mais très présente dans le débat politique. Si ces catégories restent encore à éclaircir et à affiner – nous y travaillerons dans notre groupe budget- le raisonnement qui sous-tend ces travaux va, lui, très clairement dans le bon sens.

2- Politique de Cohésion et Réforme de la PAC :

Les deux poids lourds du budget évoluent dans la bonne direction

Les communications successives sur la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) et la politique de cohésion sont venues conforter le changement de dogme observé en matière budgétaire. Valeur ajoutée, orientation vers le soutien d'une nouvelle croissance plus innovante et compétitive, recentrage sur un nombre limité de priorités et attention particulière portée à l'efficacité des mesures sont les mots d'ordre qui sous-tendent ces propositions.

La communication sur la réforme de la PAC publiée le 18 novembre dernier, a été accueillie relativement unanimement comme une bonne base de discussion pour les mois à venir. Reflet de la position franco-allemande de septembre qui avait rassemblé un large soutien de nombreux Etats membres, cette communication entend confirmer le caractère unique et irremplaçable de l'activité agricole, dans l'intérêt de la globalité de la population européenne. "Pour que l'agriculture soit en mesure de fournir davantage de biens d'intérêt public, une politique publique forte est nécessaire, ces biens ne pouvant être rémunérés comme il se doit par le seul fonctionnement des marchés". Se fondant sur les principes de sécurité d'approvisionnement, de gestion durable des ressources naturelles, de développement territorial équilibré et de maîtrise de la volatilité des prix internationaux des produits agricoles de base, le Commissaire Dacian Ciolos entend conserver et réorienter les deux piliers historiques de la PAC que sont les aides directes et la compétitivité/innovation. Argumentant qu'il n'est pas raisonnable de transférer aux budgets nationaux une partie significative des dépenses, car ils ne pourraient pas les financer, Dacian Ciolos défend l'idée d'aides directes plus équitables (plafond des aides pour les grandes exploitations) et plus justes (entre les Etats membres) mais aussi plus axées vers l'écologie. Trois options générales sont enfin présentées comme objets de débats pour les mois à venir : une première approche d'adaptations modérées, une seconde de remaniement en profondeur pour rendre la PAC plus durable et enfin une troisième approche toute entière tournée vers les objectifs relatifs au changement climat. Inutile de dire que la proposition de la Commission s'oriente assez significativement – et assez justement à nos yeux – vers l'option 2.

On retrouve également dans la communication de la Commission sur la politique de cohésion cette même volonté de mieux articuler cohésion et Stratégie EU 2020. Applicable à tout le territoire européen, la politique de cohésion vise à répondre aux critiques formulées à son encontre en se recentrant sur un nombre restreint de priorités définies dans un cadre stratégique commun décliné ensuite en contrats de partenariat de développement et d'investissements signés entre Etats et Commission. Autre évolution attendue : une attention particulière est portée à l'efficacité des fonds (travail sur la définition d'objectifs ex-ante, et d'indicateurs de résultats clairs) et la question est ouverte de la relation entre FEDER et FSE.

Changement de ton et nouveaux principes sont ressentis dans ces textes. Mais on le voit, la bataille est loin d'être gagnée, et le débat ne fait que commencer. Le choix entre différentes options et l'approfondissement des mesures et propositions concrètes ne sont pas encore faits, Confrontations Europe participera à ce débat pour soutenir les nouvelles orientations audacieuses de la Commission.

3- Budget 2011 : une lutte contre un hold-up gouvernemental

Un mot enfin sur le débat particulièrement vif autour du budget 2011. Ce qui se joue ici n'est pas un débat autour de telles ou telles lignes budgétaires. La vraie question réside dans l'efficacité de l'utilisation des fonds européens (débat sur les perspectives financières) et dans le rôle de chaque institution dans ce débat et dans le cadre de la mise en œuvre du Traité de Lisbonne. Le Parlement a accepté la position du Conseil pour les crédits de paiement 2011 (+2,9%). La conciliation a échoué, la possibilité d'un refus du budget 2011 plane sur les négociations(1). Que demande le Parlement en contrepartie ? Il fixe trois conditions pour un accord global sur le budget 2011 : premièrement, la réalisation d'un accord sur « de véritables » mécanismes de flexibilité (adoption par le PE et par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, et non à l'unanimité, "afin de permettre à l'avenir un financement adéquat, pour l'exercice 2011 et les exercices suivants, des politiques qui découlent des nouvelles compétences conférées à l'Union par le Traité de Lisbonne et de la stratégie Europe 2020 "). Le Conseil devrait se résoudre à un tel maintien sans trop de difficultés. Mais les autres sujets- essentiels- posent plus de problème. Deuxièmement, Le Parlement souhaite un engagement du Conseil à examiner les propositions de la Commission en matière de ressources propres avec le PE dans le cadre du processus de négociation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Troisièmement, le Parlement souhaite un accord entre les trois institutions sur une méthode de travail en commun, qui prévoie la participation du PE au processus de négociation du prochain CFP. Le Conseil se refuse à de telles déclarations, David Cameron en tête. Barroso a d'ailleurs déclaré : "je regrette qu'un petit nombre d'Etats n'étaient pas préparés à négocier dans un esprit européen."

En cette période de contraintes budgétaires sévères et de longue durée, la coordination entre le budget de l'UE et les budgets nationaux devrait constituer un élément essentiel pour améliorer la gouvernance économique, ainsi que la transparence et l'utilisation rationnelle des dépenses publiques. L'idée de Conférence annuelle entre Parlements nationaux et Parlement européen a d'ailleurs été plusieurs fois évoquée (rapport Herzog, propositions Lamassoure, rapport Caresche et Herbillon). Quoi de plus censé en effet de faire réfléchir ensemble des parlementaires qui sont confrontés aux mêmes problématiques budgétaires, et de les faire réfléchir à des synergies possibles ? Surtout que le Traité de Lisbonne consacre le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Refus du Conseil. Hold-up des débats ! Peut-on accepter que des choses aussi cruciales que les nouvelles perspectives financières et la gouvernance économique ne soit que l'affaire des représentants de gouvernement ? D'autant plus que le débat budgétaire court le risque d'être "capturé" au sein de d'autres deals politiques ! Martin Schulz va jusqu'à dénoncer "le contrôle que les gouvernements veulent exercer sur les parlements. Mais cela fonctionne dans l'autre sens" nous rappelle t'il. "Nous sommes confrontés à une crise sans précédent, et nous, parlementaires nationaux et européens, nous n'avons rien à dire. Toutes les décisions sont prises au Conseil Européen" déplore Axel Schäffer, vice-président de la Commission des Affaires européennes du Bundestrag(2).

L'UE est en train de mettre en place un système de coordination des budgets nationaux pour lutter contre les déficits. L'une des difficultés est de savoir comment articuler l'intervention de L'Union et le respect du principe selon lequel les budgets nationaux sont votés par les Parlements nationaux. Wolfgang Münchau(3) défend brillamment l'idée selon laquelle, "avec un système de résolution de crise basé sur le défaut, et des déséquilibres économiques persistants dans la zone, une union budgétaire devient une condition nécessaire pour la survie de l'Euro". "Les déséquilibres produisent d'importants mouvements de capitaux entre les Etats membres, ce qui entraîne des distorsions dans le secteur financier. En l'absence d'un mécanisme d'absorption de chocs budgétaire commun et sans possibilité de dévaluer, les Etats en difficulté se voient contraints de demander de l'aide". Ce type de considération devrait véritablement être au cœur des débats sur les prochaines perspectives financières. Et pour ce faire, il est impératif que ce débat soit public et démocratique. Confrontations a d'ores et déjà levé le tabou en juin dernier sur la réforme du budget, elle a initié des travaux sur les fonds structurels et la coordination fiscale ; elle va les approfondir dans les mois à venir.

Post-scriptum
1 - CR de la Commission COBU, Alain Turc, www.confrontations.org
2 - Euractiv.fr
3 - Wolfgang Münchau, « Fiscal Union is crucial to the euro's survival », FT, November 15 2010


Carole Ulmer
26 Novembre 2010


Carole Ulmer est chargée d'études (budget) et responsables des relations institutionnelles à Confrontations Europe

http://www.confrontations.org

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