par Jean Dufourcq, le mercredi 25 février 2009

Une bonne alliance entre Européens et Américains, ce n'est pas une machine de guerre tous azimuts servant d'assurance tous risques à une communauté atlantique plongée dans l'incertitude du 21ème siècle. Ni un club occidental défensif destiné à prolonger les effets bénéfiques d'une position stratégique qui fut longtemps dominante au siècle précédent. Ce n'est pas non plus un partenariat fonctionnel imposant au reste du monde le modèle occidental de protection avec instruments et technologies associés. Ce n'est pas non plus une entreprise de transformation de sommet en sommet de la structure sortie victorieuse de la guerre froide ; une Otan qu'on rééquilibrerait cette fois-ci au profit de l'Europe ; ce pilier européen que l'on s'évertue à ériger dans la technostructure bruxelloise et qui serait validé lors du sommet de Strasbourg en avril. Ni non plus cette machine complexe et hésitante qui semble enlisée dans les opérations d'Afghanistan. Une alliance entre partenaires atlantiques, c'est autre chose ; elle doit d'abord répondre à nos besoins, ici et maintenant. Quelle alliance voulons-nous ?


Il serait bon de le savoir au moment où nous nous préparons à régulariser militairement notre engagement dans l'Otan même si John Vinocur remarque dans sa livraison du 26 janvier de l'International Herald Tribune que la messe n'est pas dite à Paris. Il croit même discerner ici et là des réticences (la question du QG européen de Bruxelles, celle de l'Iran) et des divergences (quel discours tenir à la Russie ?). Il a raison de souligner qu'une intégration militaire française totale ne peut pas être un alignement. Au demeurant l'Alliance atlantique dont la France est un membre fondateur et l'un des pourvoyeurs financiers et militaires les plus engagés est aujourd'hui en attente d'un mieux. Un mieux qui sera d'ailleurs défini par les Etats qui la composent plutôt que par les employés et salariés qui l'animent. Un mieux qu'on attend lors du prochain sommet d'avril par la grâce d'une nouvelle administration américaine.

Alors de quoi avons-nous besoin de part et d'autres de l'Atlantique ? D'un espace organisé pour parler de nos intérêts et de nos valeurs et de la façon de les défendre contre l'adversité au 21ème siècle ; d'une structure de coordination et de régulation de nos projets stratégiques ; d'une organisation capable de faire de la solidarité atlantique le moteur de coalitions en faveur du progrès général de la planète. Nous avons besoin d'unité et de solidarité stratégiques mais aussi de maillons stratégiques éprouvés avec nos voisins, en Europe, les russes et les méditerranéens. Car pour fonctionner une telle alliance ne doit pas occulter dans sa réflexion politico-militaire la différence des expériences stratégiques vécues par les peuples d'Amérique du Nord et d'Europe. Depuis Thomas Jefferson, le peuple américain s'enorgueillit de dépasser l'histoire et d'offrir un modèle de développement harmonieux à l'humanité moderne, même si le débat sur le dilemme Idéal/Intérêt n'a cessé d'être nourri depuis 1776 ! Alors que depuis les deux dernières guerres mondiales, les peuples européens adoptent une attitude plus modeste qu'au 19ème siècle, une posture fondée sur l'histoire tragique de leurs déchirures passées qui postule l'intérêt général européen et la valeur du bon voisinage stratégique. Ces expériences distinctes fondent des stratégies différentes que l'Otan n'a pas encore su mobiliser par des postures militaires différenciées et complémentaires depuis la fin de la guerre froide. Le lien transatlantique célébré sans trop d'analyse et fondé sur le dogme de la communauté des intérêts, des valeurs et des responsabilités communes doit être aujourd'hui mieux disséqué si l'on veut reconstruire une bonne alliance euro-américaine.

On verra alors sans doute émerger la nécessité d'une enceinte politique nouvelle où Américains et Européens, (mais d'autres aussi sur la base de regroupements régionaux à venir ou de traité de sécurité continentale), pourraient accorder leurs intérêts vitaux, stratégiques et de puissance, selon l'ancienne classification ; une enceinte dans laquelle ils afficheraient leur ferme résolution d'agir ensemble chaque fois que ces intérêts se superposent et séparément mais en corrélation étroite ailleurs. Intérêts communs, actions communes; intérêts distincts, corrélation étroite; intérêts divergents, code de conduite et exigence de solidarité.

Dans une telle nouvelle Alliance atlantique à vocation de régulateur stratégique occidental, à quoi pourrait servir l'Otan? L'actuelle organisation ne semble plus avoir de flexibilté suffisante pour être réhabilitée. Sa transformation est devenue problématique. Il nous faut donc une autre organisation. Une Otan qui conserverait un rôle d'opérateur militaire central permettant de garantir l'interopérabilité, humaine, technique, procédurale entre les différentes autorités susceptibles d'agir de concert dans les coalitions de circonstance qui seront sans doute la règle du 21ème siècle. Un opérateur stratégique capable de travailler sous le contrôle politique et la direction stratégique de structures variées, au premier rang desquelles seraient l'UE et sa PESD, l'ONU et son DOMP, l'OSCE … Mais ce rôle technique central d'une Otan épine dorsale de coalitions militaires devrait être complété par celui, politique, d'une super commission euro-américaine (USA/UE) chargée de "l'intérêt général occidental" et garante d'une "coopération équilibrée". Loin d'affaiblir la solidarité occidentale, une telle évolution qui demanderait sans doute une pleine décennie pour se mettre en place restaurerait les fondements de l'alliance atlantique pour en pérenniser l'efficacité. Constatons qu'on est ici encore assez loin des perspectives qu'ouvre le projet Otan publié ces derniers jours sous l'angle de la renaissance de l'Alliance et le titre An Atlantic Compact for the 21st Century. Parlons donc ensemble de notre alliance et définissons pour elle une autre organisation, une bonne organisation qui permette de répondre aux défis du 21ème siècle.


Analyste en affaires internationales et stratégiques, docteur en science politique et membre de l'académie de marine, Jean Dufourcq est directeur de recherche au centre d'études et de recherche de l'Ecole militaire à Paris. 

Spécialiste des questions méditerranéennes, européennes et atlantiques, il prend régulièrement part au débat stratégique par ses publications académiques ou lors des séminaires universitaires qu'il tient dans ces disciplines.

Auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, conseiller au Centre d'Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Etrangères, il a été membre de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles et chef du centre de recherche du collège de défense de l'OTAN à Rome.

Contre amiral (2S), l'essentiel de sa carrière maritime s'est déroulé dans les forces sous-marines pendant la guerre froide.

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