par Vaira Vike-Freiberga, le mardi 24 mars 2009

Entretien réalisé le, 10 Mars 2009, par Claude-Emmanuel Triomphe pour le compte de Metis Europe(http://www.metiseurope.eu), avec Madame Vaira Vike-Freiberga, ancienne présidente de Lettonie, vice-présidente du groupe de réflexion sur l'avenir de l'Union Européenne.


La crise financière touche la Lettonie de plein fouet. L'Etat a dû effectuer un emprunt de 7,5 milliards d'euro auprès du FMI, nationaliser Parex la deuxième banque du pays. Enfin, le gouvernement d'Ivars Godmanis a chuté le mois dernier suite aux émeutes du mois de janvier. Comment évaluez-vous les dégâts sociaux de la crise en Lettonie ?

Je ne crois pas qu'on puisse attribuer la chute du gouvernement aux émeutes de janvier, qui n'ont pas été si graves. C'est la chute de popularité dramatique des partis au gouvernement qui a engendré une nouvelle coalition. Je ne suis guère en mesure d'évaluer en détail les répercussions de la crise, mais il est clair qu'elle est très grave et ne cesse de s'aggraver. La crise financière s'est manifesté tout d'abord avec la quasi-faillite de Parex, qui s'est bizarrement permis d'effectuer des emprunts colossaux tout au long de l'année dernière. Le gouvernement a dû faire appel au FMI et d'autres bailleurs de fonds, qui ont exigé des coupures féroces dans le budget national pour endiguer la dette publique.

Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, la fonction publique est la première touchée par la crise. L'État a été contraint de réduire les salaires des employés de la fonction publique et à licencier pour maintenir le déficit budgétaire en-dessous du 5% du PNB. Il faut dire que les salaires avaient augmenté de 35% et plus pendant les années de vaches grasses. En ce moment, tous les fonctionnaires d'État touchent déjà 15% de moins qu'auparavant. Le FMI exige des coupures supplémentaires.

Alors que la crise, d'abord financière, s'attaque déjà à ce qu'on appelle «l'économie réelle», le nouveau gouvernement, qui vient d'être composé, n'aura d'autre choix que de poursuivre les mesures d'austérité qui s'imposent par la nécessité.


Quelle est la stratégie de relance de la Lettonie ?


En Lettonie, le gouvernement ne peut pas stimuler la relance globale de l'économie avec les fonds de l'emprunt international. Mr Joaquín Almunia (commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires) ne nous autorise pas à affecter l'argent emprunté autrement que dans le renflouement des banques et les dépenses directes de l'État. Pourtant partout ailleurs, Obama, Sarkozy en tête, les gouvernements assument des plans de relance colossaux, qui incluent le soutien des particuliers et des PME. Est-ce à dire que nous ne pouvons que continuer à couper les dépenses, sans rien faire pour accroître les revenus ?

Un emprunt est toujours lourd de conséquences. Dans le secteur agricole par exemple, les fermiers lettons ont accumulé des emprunts considérables pour répondre aux mille exigences de l'UE, parfois pointilleuses, en ce qui concerne la production laitière. Maintenant que le prix du lait à baissé en dessous du prix de revient, ces fermiers se retrouvent dans l'incapacité d'entrer en compétition avec les agriculteurs français, danois ou autres, qui sont subventionnés avec des appuis de trois à cinq fois supérieurs aux leurs.

Il faudrait revoir les accords de subventions agricoles conclus en 2004 à l'entrée des dix nouveaux pays dans l'UE. Ces accords ont été conçus dans un contexte de rattrapage économique. En temps de crise, trop d'éléments déforment la compétition. On a longtemps cru que les nouveaux entrants offraient une concurrence déloyale parce que leurs salaires étaient bas. Maintenant on leur reproche d'avoir trop augmenté les salaires. Il fallait bien, sinon tout le monde partait travailler en Irlande ou ailleurs. C'est nous les dindons de la farce. C'est comme la libre circulation des services : la firme Laval qui voulait construire une école en Suède avec ses ouvriers lettons, a été bloquée par les syndicats suédois. Dès que l'ouverture des portes est au désavantage des anciens pays, ils les referment aussitôt. L'équité européenne doit être repensée tant de façon pratique que philosophique.


Pensez-vous que la crise accentue les égoïsme nationaux et handicape le principe de solidarité européenne ? Faut-il envisager un fond commun européen pour la formation ? Quelle solution serait adaptée à la Lettonie aujourd'hui?


Il faut retourner aux sources de la crise. L'américain Michael Hudson, entre autres, explique bien comment la bulle immobilière a éclaté, alors que le monde de la finance avait engrangé des profits astronomiques. L'endettement réel a alimenté un endettement virtuel, certains en ont profité pour toucher des millions. Tout ce système financier est en train d'être sauvé de manière discutable car elle blanchit les financiers irréfléchis. Le système financier a besoin de reformes profondes, tant nationales qu'internationales.

Je suis aussi naïve que n'importe quel autre citoyen, j'ai du mal à comprendre l'ampleur de la dépression économique qui se propage. Est-ce que les gens ne mangent plus de fromage, ne boivent plus de lait ? Des stocks destinés à l'export s'entassent en Lettonie. Ailleurs personne n'achète plus de voiture neuve. Qu'est-ce que c'est que cette économie globale dont la croissance ne faisait que monter en flèche et qui soudainement ne fonctionne plus ? Entre temps, bien sûr que le protectionnisme national va se réaffirmer. La France ne donne-t-elle pas l'exemple ?


Considérez-vous que l'Union Européenne est inactive ?


Moi, qui ai vécu aux au Canada et connais bien les États-Unis, je trouve que l'Union souffre surtout de la lourdeur et de la lenteur de sa bureaucratie. Reprenons le cas des agriculteurs. Ils se plaignent de voir défiler je ne sais combien d'inspecteurs différents dans leur exploitation pour vérifier si la barrière des enclos est à la bonne hauteur, et autres détails microscopiques. Pourtant l'EU a vécu la maladie de la vache folle, ou la dioxine dans la nourriture pour animaux, preuve que les accents n'avaient pas été mis à la bonne place.

Au niveau macro, c'est l'inverse. La coordination par les traités, véritables instruments de la régulation nous échappent. Ou, au contraire, les traités nous lient les mains. En rejoignant l'UE, les nouveaux membres acceptaient de lier la valeur de leurs devises nationales au taux de l'euro. Du même coup, les gouvernements nationaux perdaient le pouvoir de contrôler l'inflation en haussant les taux d'intérêt. Les citoyens n'avaient qu'à faire des emprunts en euros, si les taux d'intérêts nationaux étaient trop élevés.

Il y a deux ans, un banquier suédois m'exprimait ses inquiétudes sur le taux d'emprunt trop élevé du secteur privé Letton. C'était pourtant sa banque qui nous prêtait, entre autres. Et ça leur a rapporté beaucoup. Le marché bancaire letton était attractif, les banques occidentales ont cassé les prix, avec des prêts en Euro ou en Franc Suisse, à taux très bas, sans garantie particulière. Ce mécanisme pervers a propagé une conception de l'argent pas cher. Entrepreneurs et particuliers croulent maintenant sous les dettes accumulées durant les années de vertigineuse croissance économique.


Quelles sont les attentes en Lettonie vis-à-vis de l'UE en matière sociale ?

Une solidarité qui permette à l'État de respecter ses obligations sociales. En Lettonie l'inflation baisse, mais les salaires beaucoup plus. Les revenus de l'État chutent en flèche. Quelles perspectives peut avoir un pays quand on ampute 35 à 40% du budget des universités ?


Voudriez-vous formuler un appel solennel à l'UE ?


On pourrait commencer par des mécanismes beaucoup plus souples pour permettre aux nouveaux membres d'absorber les fonds européens déjà prévus à leur égard. Les exigences bureaucratiques sont excessives. En Lettonie, 700 personnes gèrent la totalité des dossiers. C'est beaucoup trop! La lenteur des remboursements pour les projets accomplis est inexcusable. La crise pourrait devenir l'occasion de revoir sérieusement l'efficacité de la gestion de l'UE. Mais cela exige du courage et une vraie volonté politique.


Vous appartenez au groupe de réflexion sur l'avenir de l'UE. Comment percevez-vous la notion d'Europe Sociale ? Quel serait votre rêve pour l'Europe ?


Nous avons seulement deux sujets que nous ne traiterons pas : les questions institutionnelles et la question des frontières. Tous les autres sujets sont sur la table.

On parle parfois de l'Europe sociale comme s'il s'agissait d'un modèle unique, quand en fait l'EU englobe trois ou quatre modèles sociaux différents. Il faut parler de façon systémique : Avant et surtout c'est l'Europe des citoyens, ensuite viennent les questions de subsidiarité, la place des villes et des régions, la place des nations et des États et leur rapport à la structure supranationale européenne. Mon rêve, c'est une Europe d'égalité, où chaque individu a des chances égales de réaliser son potentiel humain.


Que signifie réussir socialement en Europe d'après vous qui êtes une citoyenne du monde ?


En matière sociale l'Europe s'est empêtrée dans sa rhétorique politique clivée gauche –droite. C'est dépassé, démodé. Les Européens doivent se respecter mutuellement, assez pour construire un monde qui ne soit pas un jeu à somme nulle, mais un jeu où tout le monde est gagnant.

Nous entamons le nouveau siècle avec difficulté. Il faut chercher de nouveaux modèles répondant aux attentes du citoyen, suivant le principe de démocratie européenne de la solidarité sociale et de la justice sociale.

Repenser le modèle social, c'est promouvoir le travail, diminuer le taux de chômage, encourager l'éducation et la formation continue, encourager l'esprit d'entreprise, créer des emplois. Un modèle social équilibré doit trouver une place à chaque personne selon ses capacités individuelles. Pas au sens marxiste, où tout passe sur le lit de Procuste idéologique, ni au sens d'un capitalisme débridé, où le gros de la richesse nationale est dans 1% des mains de la population.

A l'échelle européenne, ce n'est pas seulement d'un fond de solidarité pour les banques dont nous avons besoin, mais aussi d'un fond de solidarité sociale, quand les États, ou les municipalités n'ont plus les moyens d'aider les plus pauvres. Ici, certains ne sont déjà pas capables de se chauffer l'hiver, certains ont à peine de quoi manger. Ce n'est guère acceptable dans une Europe qui se respecterait.

En ce moment, comme toujours, les États sont préoccupés par leurs élections nationales, régionales, municipales. Le malheur de la démocratie, c'est que les élus politiques passent trop de leur temps à penser à leur réélection et à leur popularité. Une crise exige des mesures d'urgence, même si elles risquent d'être peu populaires, même si elles provoquent des protestations de masse, comme en France tout récemment.


Paru dans le lettre de Metis Europe du 18 mars 2009

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