par Alain Lamassoure, le mercredi 17 juin 2009

Par un de ces renversements du jugement moral dont notre système politico-médiatique a le secret, le « parti des abstentionnistes » a été présenté comme le grand vainqueur des dernières élections européennes. Ce n'est pas la première fois : c'est devenu un lieu commun de considérer les candidats et/ou les partis politiques à la fois comme les responsables et comme les victimes du désintérêt du souverain électeur. Celui-ci, en bon souverain, considérant de son côté qu'il peut légitimement user de son bon plaisir en se déplaçant pour « récompenser » les politiques de son choix ou, au contraire, en préférant vaquer à ses occupations privées dominicales pour « punir » en bloc tous ces politiques indignes d'un détour par le bureau de vote. Et, le soir de l'élection, les plateaux de télévision s'emplissent de crocodiles en larmes qui, entre deux sanglots, surenchérissent sur la médiocrité de l'offre politique et le déclin de la démocratie.


Dans le cas des dernières élections européennes, les records d'hypocrisie collective ne sont pas étrangers aux records d'abstention. Dès le mois de janvier, par paresse, par ignorance et, parfois, par jalousie, les rédactions des grands médias audiovisuels n'ont cessé de marteler que l'Europe n'intéressait personne, qu'elle était très éloignée des préoccupations quotidiennes, et que les Français avaient décidé de ne pas aller voter. Pour des raisons différentes, la plupart des partis politiques ont estimé tactiquement habile d'entretenir ce sentiment, même en prétendant le contraire : à la notable exception des Verts, chacun s'est contenté de mobiliser le cœur de son électorat. Le service public de la télévision s'est surpassé dans l'ignorance délibérée de l'esprit de son rôle : un seul débat national, auquel étaient conviés, non les candidats mais les chefs de parti, et pas même de véritable soirée électorale ! Une partie de la presse régionale a participé à ce quasi boycott, qui n'a pas vraiment été compensé par les efforts des autres, heureusement complétés par le foisonnement de nouveaux sites, blogs ou médias Internet.

Les règles franchement absurdes qui encadrent désormais la campagne électorale ont fait le reste : la crainte est telle de voir les candidats dépasser leur plafond de dépenses ou les médias avantager certains au détriment d'autres que le silence et l'inaction sont les seuls moyens sûrs de n'être pas en faute. C'est au moment où les politiques ont le plus à dire et sont le plus attendus des électeurs qu'on leur coupe le haut parleur de la « une », du micro, de la caméra et même de l'affiche. Dans ces occasions, le CSA joue le rôle d'un Conseil supérieur de l'Abstention.

A ce degré de détournement du suffrage universel, il devient urgent de revenir aux « fondamentaux », comme on dit au rugby. Risquons deux propositions iconoclastes.

La première concerne le mode de scrutin. Prohibons une fois pour toutes les systèmes qui, par eux-mêmes, empêchent, non seulement les candidats, mais ensuite les élus eux-mêmes de se faire connaître des électeurs. Qui connaît « son » député européen ? Qui connaît « son » conseiller régional ? Si l'on choisit la représentation proportionnelle, donc le scrutin de liste, veillons à ce que les circonscriptions soient petites, familières à tous les citoyens, et ajoutons-y le supplément démocratique indispensable : le vote préférentiel. Ainsi, aux élections européennes, la région administrative serait mieux adaptée que les grandes circonscriptions interrégionales parfaitement artificielles. En Aquitaine, les partis seraient invités à présenter des listes de trois candidats par ordre alphabétique, et chaque électeur serait libre d'exprimer sa préférence, voire de panacher entre les listes. Après tout, c'est le système en vigueur pour les élections municipales dans les petites communes, celles qui, justement, sont le plus près du citoyen. Et c'est le seul moyen, dans un scrutin de liste, de garantir que les élus sont de vrais … élus, c'est-à-dire qu'ils sont choisis par les électeurs et non pas nommés par les chefs de leur parti.

La seconde piste suscitera sans doute un débat plus vif. Elle consiste à rappeler que si le vote est un droit, c'est aussi le premier des devoirs civiques. Loin d'être le héros chanté par les médias, l'abstentionniste n'est rien d'autre qu'un mauvais citoyen. Tout comme le député absentéiste est un mauvais député. Contrairement à ce qui est dit généralement, ce ne sont pas les candidats qui sont « punis » collectivement par l'abstention : de toute façon, les électeurs sont suffisamment nombreux pour qu'il y ait quand même des élus. Les premières victimes sont les abstentionnistes eux-mêmes : la décision se fait sans eux. Et ils ne seront plus pris au sérieux ensuite lorsqu'ils se plaindront des mesures prises par ces dirigeants qu'ils ont laissé élire par d'autres.

Certains pays poussent ce raisonnement jusqu'à rendre le vote obligatoire. Le principe est logique avec la philosophie du devoir civique, mais son application pêche par la difficulté d'appliquer une sanction efficace – en principe, une amende. Dès lors, pourquoi ne pas instituer une carte d'électeur à points, comparable au permis à points, qui a fait ses preuves ? En faisant fonctionner le système aussi dans le sens du « bonus », et pas seulement dans celui du malus. Par exemple, la non-participation à trois scrutins consécutifs suspendrait le droit à participer au quatrième, tandis que la participation à quatre scrutins consécutifs donnerait un point d'avance, permettant d'éviter la sanction en cas d'une défaillance ultérieure. Le système pourrait être complété par la prise en compte de l'état de la carte électorale pour le recrutement dans un emploi financé par l'impôt, et par l'établissement d'une liste, facilement accessible par internet, des abstentionnistes privés du droit de participer au scrutin suivant ou/et de la liste des « bons citoyens », électeurs exemplaires gorgés de bonus. Non, ne crions pas à la violation de la vie privée : il s'agit bel et bien de vie publique, et la loi autorise déjà tout électeur à prendre connaissance des listes électorales et de leurs émargements.

Ce qu'on appelle aujourd'hui le « comportement citoyen » ou la « démocratie participative » passe d'abord par l'exercice du premier des devoirs civiques : le vote.

Publié sur le blog d'Alain Lamassoure le 13 juin 2009


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Alain Lamassoure est député européen

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