par Bernard Barthalay, le lundi 21 septembre 2009

1950: la France offre aux pays d'Europe de poser les premières assises concrètes de la Fédération. La réponse vient sans coup férir de l'ennemi d'hier: Adenauer promet une Allemagne européenne, pas une Europe allemande. Promesse tenue: l'Allemagne ratifie tous les traités communautaires, y compris la CED. Au dernier moment, la France fait volte-face, rejette l'armée européenne et gagne ce qu'elle voulait empêcher: une armée nationale allemande, aussitôt intégrée à l'OTAN. Echec de la méthode communautaire sur une matière de souveraineté.

1983: écartelé par des politiques économiques divergentes, le système monétaire européen a besoin d'un ancrage plus stable qu'un panier de devises tiré vers le bas par des monnaies faibles. Le mark allemand s'impose comme la référence du système et la Bundesbank devient de fait la banque centrale européenne jusqu'à la mise en place de l'euro et de la BCE: seize années d'hégémonie monétaire allemande en Europe. L'intergouvernemental (le SME n'était pas communautaire) n'est viable que sous la direction d'un seul, à défaut de direction commune (fédérale)

Après la décision de la Cour constitutionnelle allemande, sommes-nous, toutes choses égales d'ailleurs plutôt en 1950 ou en 1983? Quelles leçons tirer de l'histoire?


Une décision ambivalente


Pour répondre, revenons sur la portée politique de la décision de la Cour.

Il est constant que la Cour oppose deux situations de l'Europe: des Etats souverains (un "concert" européen) ou un Etat souverain. L'Etat souverain, qu'il y en ait plusieurs ou qu'un seul, a la Kompetenz-Kompetenz, indivise. C'est le règne de la forme. Les situations concrètes, où les souverainetés sont limitées par des délégations de pouvoirs ou par la souveraineté des puissances tierces, ne sont pas prises en compte. La Cour constitutionnelle, se plaçant délibérément dans l'optique du droit international et du droit constitutionnel, dénie à la Communauté-Union sa singularité, qui est d'avoir apprivoisé les souverainetés par un régime institutionnel ingénieux, héritage de Monnet, où la séparation de la fonction de proposition et de la fonction de délibération-décision rend possible, innovation majeure eu égard au passé de l'Europe, le vote des Etats. La Cour constitutionnelle allemande entre d'ailleurs, à partir de là, en conflit ouvert avec la clef de voûte (d'esprit fédéral) du système de l'Union, la primauté du droit européen sur le droit national. Nous sommes rejetés aux antipodes de la démarche concrète de Monnet ou de l'expression matérielle des "solidarités de fait" de Schuman. Rien ne vaut, hormis la souveraineté, évidemment absolue. Les Etats sont les maîtres du Traité.

A l'opposé, la Cour n'exclut pas une autre situation: un Etat européen souverain, mais elle pose les conditions d'acceptabilité de cet Etat fédéral par l'Allemagne: il doit être fondé sur une Constitution, cette constitution doit être démocratique, ce qui suppose l'existence d'un peuple, que les citoyens des Etats membres, devraient former, par définition, en tant que pouvoir constituant "originaire", puisque les juges ferment la voie du gradualisme communautaire, et que ce peuple européen n'a donc plus aucune chance d'émerger progressivement au fil d'échéances électorales vidées par les partis politiques des enjeux réels de la politique mondiale ou européenne. A moins que les juges allemands s'arrogent le privilège de constater eux-mêmes, puis de décréter, à l'exclusion de quiconque, l'existence de ce peuple. Cette position serait évidemment intenable.

L'Union est ainsi définie comme une association contractuelle d'Etats souverains (Staatenverbund, ce qu'on pourrait traduire aussi par confédération d'Etats) par opposition à un Etat fédéral (Bundesstaat). Le traité n'est pas une constitution. Et l'Union n'est pas démocratique, car son Parlement, dit la Cour, ne représente pas également les citoyens des Etats membres: un Maltais pèse plus lourd qu'un Allemand. C'est vrai. L'élection du Parlement juxtapose des élections nationales et ne donne pas lieu à un débat démocratique dans un espace public européen. C'est vrai. L'exécutif, responsable devant lui, n'est pas encore issu clairement de cette élection. C'est vrai. Autant de différences majeures avec le Bundestag dans la fédération allemande. Mais on pourrait rétorquer à la Cour que le fédéralisme allemand n'est pas conforme à l'idéal qu'on pourrait avoir d'une représentation élue des Etats membres et que la représentation inégale des Länder au Bundesrat fait fi de l'égalité qui, dans l'Union, s'appliquait au moins aux grands Etats. Ironie de l'histoire, c'est une chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui remit en cause à Nice l'égalité de ceux-ci au Conseil, laquelle avait survécu depuis que le principe en avait été posé par Monnet au moins pour la France et l'Allemagne.


Actualité et caducité des méthodes d'intégration


Que reste-t-il dans ces conditions des trois méthodes dont on dit que l'Union les conjugue: la méthode intergouvernementale, la méthode communautaire, la méthode fédérale?

A première vue, la méthode intergouvernementale paraît avoir, dans le scénario de la Cour, un certain avenir, puisque la voie de la communautarisation de la politique extérieure, de la défense, de la justice et de la police sont clairement fermées, mais c'est l'avenir des solutions fausses. Prenons le cas de la défense, on voit mal comment le commandement en chef de forces armées communes puisse être considéré comme une simple "agence" entre les mains de quelques Etats membres, hors contrôle parlementaire, sauf celui des Parlements nationaux: comment obtenir l'unanimité de ces Parlements? Quelle identité européenne de défense pour une "coalition of the willing", variable d'une opération à l'autre. Quel avantage par rapport à une simple alliance conclue face au danger?

La méthode communautaire est compromise deux fois: politiquement, puisque toute valeur est déniée au contrôle parlementaire européen, et que seul vaut le contrôle du Bundestag. En poussant cette logique jusqu'au bout, peut-on imaginer que les ministres au conseil soient tenus par un mandat impératif de leurs Parlements? Monnet avait appris à la Société des Nations que l'unanimité est bloquante dans le cadre d'une simple négociation à caractère diplomatique, et la Cour voudrait impliquer plusieurs milliers de parlementaires dans le processus? A-t-on oublié que le dossier fiscal n'avance pas dans l'Union, précisément parce que le ministre allemand est tenu par un mandat négocié avec les Länder et lui imposant un long va-et-vient entre Berlin et Bruxelles s'il veut aboutir?

Quant à la méthode fédérale, limitée pour l'instant à la politique monétaire, elle ne procède pas d'un choix délibéré, raisonné, cohérent avec la finalité posée par Schuman, mais du choix allemand, au demeurant judicieux, d'une banque indépendante, donc dissociée des choix budgétaires des gouvernements. Ce choix n'était d'ailleurs pas négociable, car il aurait marqué un recul, en termes de stabilité, par rapport à la période antérieure, dominée par la Bundesbank. Faudrait-il, pour complaire à la Cour, qu'une autorité publique de régulation des marchés financiers, ou une autorité de l'énergie soit contrôlée par 27 Parlements. Peut-être qu'à ses yeux, la contrôle par le Bundestag, ajouté au "mauvais" contrôle du Parlement européen, entaché d'"illégitimité", pourrait suffire. Faudrait-il que la Cour constitutionnelle allemande soit instaurée juge de la légitimité des autres Parlements nationaux? Non, pour la Cour, les conditions de la création de nouvelles autorités fédérales ou supranationales ne sont pas réunies. La Cour la subordonne clairement à une révision de la Loi fondamentale, autrement dit à un transfert formel de pouvoirs à un Etat dont la constitution garantirait la nature fédérale, sociale et démocratique de la République fédérale d'Allemagne, excluant de la Kompetenz-Kompetenz européenne tout ce qui touche l'organisation fédérale de l'Allemagne (et, par conséquent, symétriquement, à la structure politique et/ou administrative des partenaires de l'Allemagne): le pouvoir constituant originaire de l'Etat européen n'aurait pas le pouvoir de redistribuer les compétences entre le Bund allemand et ses Länder. Pas de pouvoirs fédéraux européens sans Etat européen , pas d'Etat européen sans constitution européenne, pas de constitution européenne sans révision des constitutions nationales.


Les voies d'accès au fédéral


Reste alors à déterminer comment avancer désormais? Puisque la Cour n'exclut pas par principe l'Etat fédéral, comment y aller à partir de l'association contractuelle d'Etats souverains, contraints que nous sommes par la décision de la Cour? Existe-t-il une voie d'accès intergouvernementale? communautaire? ou bien la seule voie d'accès est-elle elle-même fédérale?

-1)la voie intergouvernementale d'accès au fédéral, c'est la voie administrative; rien n'interdit à plusieurs Etats de fusionner un type d'administration, par exemple les douanes ou la police des frontières, dans le cadre d'un exercice en commun de la souveraineté; ce "pool" administratif étant tour à tour et selon les cas à la disposition de l'un quelconque des Etats membres. On pourrait imaginer aussi un secrétaire européen à l'énergie à la tête d'une administration fusionnant les services compétents des Etats intéressés, voire les services compétents de la Commission si l'Union tout entière en convenait. Ce "pool" énergie serait le précurseur d'un futur département ministériel de l'énergie. Déjà, dans ce cas, se pose le problème de la définition, du financement et du controle de l'exécution de sa politique. Qui dirige? Qui a la pouvoir? Plusieurs Etats, c'est ingérable. La question de l'Etat européen est à nouveau posée. La Cour allemande en tout cas la poserait au sujet des ressources et de leur emploi et enfermerait le fonctionnement de cette "agence" dans le va-et-vient des vetos et des mandats impératifs du ministre allemand. Cette voie est sans issue, sauf dans le cadre d'une promesse mutuelle de constitution et de la mise en place de ce précurseur de département ministériel parallèlement à un processus constituant déjà à l'oeuvre (on serait, toutes choses égales d'ailleurs, dans le cas de figure de l'Institut monétaire européen avant la BCE). La recherche d'une solution hors Traité, mais dans le périmètre de l'Union, pourrait ouvrir une autre piste, si les gouvernements décidaient de se défaire de la désignation du Président du Conseil européen entre les mains des citoyens, par son élection au suffrage direct, sans révision du Traité ni Constitution, sur un mode coutumier, à l'anglaise. Cette voie est éminemment politique, et pourrait difficilement faire l'objet d'une opposition de la Cour allemande, car cela comblerait en partie le déficit démocratique qu'elle dénonce. Ce qui, comme jadis, pour le Parlement, poserait la question des pouvoirs du Président, et de la séparation/collaboration de ses pouvoirs avec le législatif, donc reposerait in fine le problème constitutionnel.

-2)la voie communautaire d'accès au fédéral, celle de Monnet. La Cour vient de la fermer. Elle récuse le primat du droit de l'Union, et le rôle éminent de la Cour de Justice de l'Union. Elle interdit en droit à l'Allemagne de tenir la promesse mutuelle de communautarisation de la politique extérieure, de la défense, de la justice et des affaires intérieures. Elle compromet l'exercice par l'Union des compétences exclusives qui lui sont reconnues par la Traité: pas de retrait de l'Allemagne des négociations commerciales à l'OMC au profit du Commissaire compétent, pas de siège européen à l'ONU se substituant ou alors un siège allemand. Il suffit de confronter la liste des matières de souveraineté ou de celles qui « conditionnent les circonstances de la vie économique, sociale et culturelle des Allemands », d'une part, et un inventaire des dossiers en suspens dans le cadre de l'intégration graduelle, telle que pratiquée depuis la naissance de la Communauté, d'autre part, pour comprendre que l'intégration ne pourra progresser désormais qu'au gré d'"autorisations" données par le Bundestag, ou par la Cour à l'occasion de recours en anticonstitutionnalité, pour comprendre que l'unité européenne n'avancera plus qu'avec une extrême lenteur en suivant cette voie.

-3)la voie d'accès fédérale au fédéral: c'est celle de la refondation démocratique d'une avant-garde européenne, unie dans sa diversité, comme quelques acteurs de la scène politique allemande l'ont immédiatement affirmé. Selon moi, il existe un 'carré magique' des 4 "P": promesse, proposition, préparation, participation.
-promesse: renouveler et tenir les promesses échangées en 1950: pour la France, la promesse de la Fédération; pour l'Allemagne, la promesse d'une Allemagne européenne contre une Europe allemande; pour tous les candidats à la Fédération, une promesse mutuelle de placer à jamais l'intérêt commun au-dessus des intérêts particuliers; c'est le premier objet, moral, d'un pacte d'union indissoluble à sceller pour le soixantième anniversaire de la déclaration Schuman: est-ce là, M. Sarkozy, le projet européen pour la France annoncé à Versailles?
-proposition: les auteurs de l'initiative, pas seulement la France, mais aussi l'Allemagne, et idéalement aussi, comme disait de Gaulle, "tout ce qui touche aux Alpes, aux Pyrénées et au Rhin", proposent dans ce pacte à tous les Etats membres de l'Union de constituer une Fédération, une puissance politique mondiale, d'ouvrir immédiatement des négociations, fermées à ceux qui se satisfont de l'appartenance à la seule Union du Traité de Lisbonne comme organisation de l'espace européen, afin de mettre en place, sans eux, en tant qu'avant-garde, des instruments fédéraux provisoires et de définir le pouvoir constituant originaire de la Fédération;
-préparation : ces instruments fédéraux seront conçus comme des précurseurs de futurs départements ministériels de la Fédération, et chargés d'apporter des réponses immédiates à la crise (un 'pilote' fédéral pour la stratégie de Lisbonne, un Trésor fédéral pour émettre des eurobonds, un régime de retraite européen selon l'heureuse proposition de l'économiste George Irvin …) dans une double perspective de sauvegarde du modèle social européen et de développement durable; un comité des Sages pourrait utilement assister les gouvernements dans l'invention de formes créatives de consultation populaire associant les citoyens à la promesse mutuelle échangée par les gouvernements et à l'élaboration du cahier des charges de la future constituante, puis dans l'organisation et le suivi du processus constituant;
-participation: parallèlement, de leur consultation à leur association directe à la rédaction de projets de constitution fédérale, puis aux travaux de la Constituante, jeter les bases d'une démocratie exemplaire et d'une légitimité sans faille de la future Fédération, sous la forme d'un processus constituant innovant, à la fois participatif et représentatif.

Il reste qu'à ce stade une majorité d'Européens seraient hostiles à un Etat européen, dans un climat général de rejet de la politique et de la puissance publique. Il s'agit bien, à moins d'accepter de sacrifier, en leur nom, leur propre paix et leur propre mode de vie (le modèle européen), de les reconcilier avec une forme souveraine d'unité, respectueuse des diversités, d'où l'importance décisive de ces 4 « P », et de sortir du dilemme formel germano-allemand, dont la Cour reste prisonnière.


Redistribuer la souveraineté


S'agissant d'Etat, Monnet ou Spinelli, quand ils disaient Etats-Unis d'Europe, ne disaient pas République fédérale d'Europe, et ils avaient en tête l'histoire de la formation des Etats-Unis, d'une union constitutionnelle de républiques fondée sur une constitution républicaine commune, plutôt que celle d'une nation, l'Allemagne, dont l'unité s'est faite tardivement, marquée par de forts particularismes, mais pas plus que beaucoup d'autres, y compris la France, et se donnant une constitution fédérale, pour permettre leur libre expression. La Cour voit au fond l'Europe comme une grande Allemagne, devant choisir, statiquement, entre une forme confédérale (l'Allemagne a traversé le XIXème sous cette forme, de la fin du Saint-Empire au Reich wilhelmien) et la forme fédérale, que les Alliés lui ont imposée et qui n'était, justement, qu'une forme dans la République de Weimar, dominée par l'Etat libre de Prusse. Ne lui en faisons pas grief: il y a tant de Français qui n'ont jamais vu l'Europe, non moins statiquement, que comme une France étendue, et devant se doter du même Etat administratif que le sien. Mais c'est un peu court, cela ne fait pas appel à l'imagination, dont le pouvoir, selon Monnet, devait présider à la construction de l'Europe, et livre l'Europe aux « immobilistes » plutôt qu'aux « innovateurs », pour reprendre les catégories de Spinelli. Cela ne repose pas sur la reconnaissance de l'autre.

La Cour part d'une conception de la souveraineté et du peuple qui, étrangement, lui vient de la Révolution française. Une souveraineté indivisible détenue par un peuple indivisible. Cette doctrine ne convient pas à l'Europe du XXIème siècle. Rien n'interdit à un bon esprit d'imaginer que les peuples réunis en un peuple de plusieurs peuples se donnent une constitution qui divise la souveraineté (du point de vue du droit) ou les pouvoirs (du point de vue de la science politique). Nous aurions alors non pas un Etat-nation fédéralisé comme le Bundesstaat allemand (l'Europe n'est pas une nation), non pas bien sûr une confédération d'Etats (Staatenbund), ni même une union contractuelle d'Etats (Staatenverbund), mais une union constitutionnelle (Verfassungsverbund), selon l'expression du Prof. Pernice. De cette constitution, et non d'un traité, naîtrait une forme nouvelle, fédérale à coup sûr, non pas d'un Etat démembré (top down), ni d'une agrégation d'Etats-nations ou de pays (bottom up), mais d'une Europe, dont les peuples composés en un seul auraient repris à leurs Etats, sans en remettre en cause à cette occasion ni l'identité, ni les frontières, ni les institutions, tous les attributs de la puissance publique à eux délégués, pour leur en rendre aussitôt une partie, mais une partie seulement, et donner l'autre partie (des pouvoirs limités mais réels) au gouvernement commun.

"Le gouvernement fédéral et les gouvernements des Etats sont de simples agents et mandataires du peuple avec des pouvoirs distincts créés pour des raisons distinctes" (Alexander Hamilton).

L'Europe quitterait le règne de l'exercice en commun des souverainetés nationales pour le règne d'une souveraineté composée (Pernice). Il serait alors loisible à quelques juristes de dénier en doctrine, contre l'évidence, à cette Fédération (ou Bund) bottom up and up la qualité d'Etat fédéral. Rien n'interdirait cependant de parler, par exemple avec Jérôme Monod, d'une union souveraine d'Etats souverains, où la seule souveraineté formellement absolue serait nécessairement la souveraineté externe, attribut de la puissance: un Verbund est au moins une alliance (en l'occurrence, défensive). Tout acte de guerre contre un Etat membre est un acte de guerre contre la Fédération. Les philosophes de la politique pourraient constater utilement que les concepts d'Etat, de peuple et de nation ne sont plus confondus, identifiés. Il reste que la Fédération, aurait une constitution pour ciment, voulue par le peuple de ses peuples, support d'un patriotisme constitutionnel (Habermas) s'ajoutant aux patriotismes nationaux, sans les effacer, que le déficit de légitimité serait parfaitement comblé par cet acte fondateur, et que le premier journaliste venu saluerait sa naissance en titrant comme une évidence: les Etats-Unis d'Europe viennent de voir le jour.


Quelle Allemagne pour une Europe puissance?


Sommes-nous en 1950, à trois ans de la Fédération, comme on pouvait l'être à l'époque du Statut de la Communauté politique mort-née? La Fédération verra-t-elle le jour dans trois ou quatre ans, juste à temps pour conduire une renaissance de l'Europe?

Sommes-nous en 1983, à l'ouverture d'une période où tout projet européen sera suspendu à l'agrément du Bundestag et de la Cour constitutionnelle allemande, comme la politique monétaire de l'époque l'était aux décisions de la Bundesbank? Avec, cette fois, l'Allemagne dans le rôle du frein, plutôt que dans celui d'un moteur. Sommes-nous encore à une quinzaine d'années ou plus d'une Europe parlant d'une seule voix et agissant d'un seul geste, d'une Europe puissante, et donc, comme le dit parfois Jacques Delors, capable de générosité?

Il appartient d'abord à la France, qui a tant de fois manqué à sa promesse, à l'Allemagne qui vient de poser ses conditions, à l'Italie si attachée à l'idée d'une démocratie européenne, à l'Espagne qui aurait répondu à l'appel de Schuman si elle n'avait connu la dictature, et à tous ceux qui veulent une Europe sûre, et sûre d'elle-même et de ses nations, de répondre: le soixantième anniversaire leur en offrira l'occasion.

Trois ans ou quinze ans: le temps de sortir de la crise en tête ou de décrocher irrémédiablement, pour se retrouver dans un monde où une Amérique en déclin se débattrait avec un partenaire chinois mal commode au sein d'un G2, et où l'Europe, après avoir exposé ses divisions au monde pendant plus d'une décennie, ne pourrait guère prétendre qu'à jouer en seconde division, Brésil, Russie, Inde et Europe, le BRIE au lieu du BRIC, peinant à se faire entendre du G2.

Pendant ce temps, l'état de la planète se serait sérieusement dégradé. La balle est d'abord dans le camp des gouvernements, qui doivent exercer leur responsabilité devant l'histoire et donner l'élan, puis dans le camp des acteurs de la société politique et de la société civile, qui doivent se mobiliser et recouvrer l'enthousiasme pour changer notre communauté de destin, d'un destin souvent funeste, en communauté de dessein.


Bernard Barthalay est titualire de la Chaire Jean Monnet d'Economie de l'intégration européenne à l'université Lumière (Lyon 2). Il est aussi membre du Comité d'Orientation de l'Association Jean Monnet et animateur du Réseau d'initatives Puissance Europe.

http://www.puissanceeurope.eu

http://www.peupleeuropeen.eu

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