Organisation hybride, inachevée, conçue il y a cinquante ans pour un autre monde, l'Union européenne bascule enfin dans la dimension politique, la légitimité démocratique et la modernité du XXIe siècle.
Elle aura désormais ses dirigeants à elle. Jusqu'alors, l'Union était dirigée par le collectif des chefs d'Etat et de gouvernement : un Sommet, qui se réunissait au mieux pendant deux jours environ tous les deux mois. Chacun d'eux est certes élu, chez lui, de manière démocratique, mais il est élu par ses seuls citoyens nationaux, et il n'a de compte à rendre qu'à eux, sur la manière dont il a défendu les intérêts nationaux en Europe, voire contre l'Europe. En outre, la présidence tournant tous les six mois, toute continuité politique était impossible : après le semestre très dense dirigé par le Président français il y a un an, son successeur tchèque a passé le plus clair de son temps à détruire son propre gouvernement, avant que la présidence suédoise reprenne le fil interrompu. Ce temps est révolu : le Conseil européen aura désormais un Président à temps plein, pour une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans. Sur la scène internationale, l'Union aura le visage d'un Haut-Représentant, placé à la tête d'un réseau diplomatique propre d'environ 5 000 personnes.
Les citoyens pourront influencer directement la politique européenne. Finis le fameux « déficit démocratique », l'indifférence des grands médias, le taux de participation dramatiquement faible aux élections européennes ! Le Parlement européen aura la plénitude du pouvoir législatif, et ce sont les citoyens, et non plus les gouvernements, qui éliront eux-mêmes le futur chef de l'exécutif européen, le Président de la Commission, comme ils élisent leur maire ou, chez nos partenaires, leur Premier Ministre, c'est-à-dire comme tête de liste ici, à travers l'élection du Parlement de Strasbourg. Pour la succession de José Manuel Barroso, les grandes familles politiques européennes seront invitées à proposer à la fois un véritable programme législatif ce qu'ils n'ont encore jamais fait et le nom de leur candidat pour le « gouvernement » de l'Europe. Les grandes télévisions se bousculeront pour organiser un face-à-face entre les deux principaux candidats, comme au moment des élections présidentielles française ou américaine. L'Europe ne sera plus un bouc émissaire facile et anonyme : elle aura un visage, un responsable direct devant les citoyens.
Les nouveaux pouvoirs de ceux-ci ne se limiteront pas là. Ils auront la possibilité de lancer eux-mêmes des initiatives politiques : la signature d'une pétition d'au moins 1 million de citoyens appartenant à plusieurs Etats membres obligera les dirigeants européens à se saisir du problème ou du projet, à en débattre, et à prendre position publiquement. Partis, syndicats, associations, étudiants, travailleurs frontaliers, expatriés, cadres ou ouvriers de multinationales, conjoints ou enfant d'une famille binationale, etc. auront là un moyen très nouveau et très concret de faire vivre la « démocratie participative » à l'échelle du continent.
Enfin, l'Europe étend son champ de compétence dans des domaines où l'efficacité oblige nos Etats à agir unis. Sur l'ensemble des relations extérieures commerciales, financières, économiques, techniques, scientifiques, environnementales. Sur l'énergie, par quoi tout avait commencé en 1951 (le traité charbon-acier), et où tout s'était délité au moment des chocs pétroliers des années 70 : face à l'arrogance gazière de la Russie, face à l'objectif historique de l'énergie « décarbonée », l'Union aura enfin les moyens de l'action conjointe et forte. Elle pourra aussi avoir une véritable politique spatiale.
Sur la « grande » politique étrangère et la défense, si la compétence de base reste aux Etats membres, ceux-ci s'obligent à se coordonner sous la présidence du Haut-Représentant européen. Et, en matière militaire, les pays déterminés à mettre leurs moyens en commun pourront le faire sans attendre les autres. Certes, il n'y aura pas tout de suite une seule diplomatie européenne, le Président des Etats-Unis n'aura pas encore un seul interlocuteur de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais, ainsi qu'ils ont commencé de le faire à propos de la grave crise iranienne, les dirigeants des grands pays pourront plus facilement trouver le chemin d'un consensus, et ils disposeront ensuite d'un outil civil et militaire pour le traduire dans les faits.
Bien sûr, la qualité de la musique dépendra du talent des compositeurs et des instrumentistes. Encore fallait-il inventer l'instrument. Voilà qui est fait. Européens, au travail !
Paru le 3 octobre 2009 sur le site d'Alain Lamassoure
http://www.alainlamassoure.eu/
Alain Lamassoure est député européen