par Noëlle Lenoir, le mardi 13 octobre 2009

Vaclav Klaus, le Président de la République tchèque, ne veut pas du traité de Lisbonne. Non seulement il le fait savoir, mais il cherche par tous moyens à empêcher son application.

Editorial paru sur le site du cercle des européens le 12 octobre 2009
http://www.ceuropeens.org


Cela lui est de plus en plus difficile. Le oui au référendum irlandais du 2 octobre sur le traité a triomphé (67,1%). La ratification du traité par le Président polonais a été entérinée en grande pompe le samedi 10 octobre à Varsovie en présence des trois dirigeants européens, Fredrik Reinfeld, Premier ministre suédois et Président du Conseil européen, Jerzy Buzek, Président du Parlement européen et José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne tout nouvellement reconduit dans ses fonctions.

En dépit de l'adoption par le Parlement tchèque d'une loi de ratification du traité en mai 2009, Vaclav Klaus persiste et signe en multipliant les manœuvres dilatoires et les déclarations à l'emporte-pièce. Néolibéral Thatchérien et souverainiste, Vaclav Klaus, est une personnalité contradictoire. Il dénonce l'Union européenne comme une nouvelle Union soviétique alors qu'il ne s'est pas véritablement engagé comme son rival le grand Vaclav Havel, contre le régime communiste. Cadre à la Banque centrale tchèque durant la Révolution de Velours de 1968, sa grande prudence lui avait permis de ne pas être inquiété. C'est lorsqu'il était Premier ministre en janvier 1996 que la République tchèque a déposé sa demande d'adhésion à l'UE.

Quoiqu'il en soit, le traité de Lisbonne n'entrera en vigueur que lorsque le Président de la République tchèque y aura apposé sa signature. Or celui-ci joue la montre. Son but affiché est d'attendre les élections britanniques et la victoire programmée des Conservateurs dont le leader, David Cameron, annonce un référendum pour effacer la signature de la Reine apposée depuis juillet 2008 au bas du traité !

Le Président tchèque fait donc de la procédure.

• D'abord, il a suscité de la part de 17 sénateurs de l'ODS, son parti, un nouveau recours devant la Cour constitutionnelle mettant en cause la constitutionnalité du traité, alors qu'un premier recours avait donné lieu à un arrêt de rejet en novembre 2008.

• Ensuite, il pose de nouvelles exigences en réclamant de voir dispenser la République tchèque d'appliquer la Charte des droits fondamentaux de l'Union, pour éviter que la Cour de Justice ne puisse faire annuler les décrets Benes décidant l'expulsion des Allemands des Sudètes après la guerre en 1945.

Seconde saisine de la Cour constitutionnelle tchèque à l'encontre du traité de Lisbonne

Cette saisine a au moins un précédent, en France, à l'époque des débats sur le traité de Maastricht. Saisi du traité par le Président de la République, le Conseil constitutionnel français avait dans une première décision du 9 avril 1992 considéré qu'il y avait lieu de réviser la Constitution avant de ratifier le traité, notamment en raison de la création de l'euro et de la reconnaissance de droit de vote des citoyens européens aux élections municipales et européennes. Devant l'échec du référendum au Danemark le 2 juin, le gouvernement français soumettait au Parlement une loi de révision constitutionnelle, intervenue le 25 juin, François Mitterrand annonçant le lancement d'un référendum pour marquer sans ambiguïté l'engagement des Français pour l'Europe. De la même façon que les 17 sénateurs tchèques, 60 sénateurs conduits par Charles Pasqua n'en déposaient pas moins un nouveau recours devant le Conseil constitutionnel arguant du fait que le traité ne pouvait être ratifié en France du fait de son rejet au Danemark. La décision du juge constitutionnel, rendue au bout de 15 jours, fut nette : "l'argumentation invoquée par les auteurs de la saisine se heurte à la chose jugée par le Conseil constitutionnel". Remporté de justesse (51,5%), le référendum eut bien lieu le 20 septembre. Et l'euro vit le jour en 2002.

Comme dans le cas français, les moyens des sénateurs tchèques sont redondants par rapport à l'argumentation du premier recours et surtout la Cour a déjà jugé que le traité était compatible avec la Constitution tchèque. Prenant appui sur la jurisprudence à la tonalité eurosceptique de la Cour allemande, les requérants veulent maintenant voir déclarer par la Cour tchèque, que si le traité est conforme, il ne peut favoriser aucune évolution dans l'avenir : il ne peut pas déboucher sur une défense européenne, sur une Europe fédérale, sur la reconnaissance de la primauté du droit communautaire sur les Constitutions nationales etc. De plus, pour compatible qu'il soit avec la Constitution tchèque, le traité de Lisbonne serait antidémocratique, car illisible. Les 17 sénateurs contestent par ailleurs la constitutionnalité du traité de Rome et de celui de Maastricht. A cet égard, on peut les renvoyer au considérant de la première décision du Conseil constitutionnel français sur Maastricht sur le respect du principe Pacta Sunt Servanda. Traduisez : intégrés dans l'ordre juridique interne, les traités antérieurs ne peuvent plus être contestés en tant que tels.

La demande de dispense de la reconnaissance de la valeur obligatoire de la Charte des droits fondamentaux de l'UE

Le Président tchèque formule quant à lui directement une demande : que son pays n'ait pas à appliquer la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

La Charte, qui a depuis son adoption en 2000, valeur de simple recommandation, n'est pas un chiffon de papier. Les juridictions communautaires ou nationales, comme les parlements nationaux s'y réfèrent déjà. Un nouveau pas est toutefois franchi avec le traité de Lisbonne. La Charte acquiert valeur obligatoire. Les 27 Etats-membres l'avaient accepté dans le cadre du traité constitutionnel. Il n'en est plus ainsi. Le non au référendum sur ce traité en France et aux Pays-Bas en 2005 ont érodé le consensus entre les Etats. Pour ne pas avoir à tirer les conséquences de l'intégration des droits sociaux dans la Charte, les Britanniques ont obtenu un "opting out". Les Polonais ont aussi obtenu cette dispense pour ne pas avoir à légaliser l'homosexualité et l'interruption volontaire de grossesse. Toutefois, ces "opts out" figurent dans le traité. La demande du Président tchèque, qu'il aurait eu le loisir de présenter auparavant, est donc tardive.

Il est vrai que les Irlandais ont pu faire acter certaines garanties, destinées, après le non au référendum de juin 2008, à rassurer leur opinion publique. Ces garanties sont inscrites dans une décision du Conseil européen qui ne sera toutefois intégrée dans le traité qu'à la faveur du prochain traité d'élargissement (vraisemblablement à la Croatie et/ou à l'Islande). Ce qui exclut de modifier hic et nunc le traité de Lisbonne.

Quelle issue ?

Se dirige-t-on, pour satisfaire les revendications de Monsieur Klaus, vers une procédure analogue lors du Conseil européen de la fin octobre ? C'est possible, mais ce serait dommage. Car par exemple, pourquoi se priver de défense européenne entre les États membres qui souhaitent effectuer cette démarche ensemble dans le cadre de la coopération structurée ? (cf Traité de Lisbonne et Europe de la défense) Pourquoi minorer la force du droit communautaire en affirmant d'emblée que sa primauté n'est pas absolue ? Pourquoi se priver d'évolutions éventuelles de nature à favoriser l'intégration politique de l'Europe ?

Mettra-t-on en sens inverse à exécution certaines menaces à peine voilées suggérées par certains ? On a parlé de ne pas faire nommer de Commissaire tchèque au sein de la nouvelle Commission européenne, de ne pas situer le siège de Galiléo à Prague comme cela est envisagé, ou encore de ne pas prendre en compte au niveau de l'UE la position spécifique du gouvernement tchèque au Sommet de l'ONU à Copenhague en décembre prochain ? Ce serait également fâcheux. Car les rapports entre pays partenaires de l'Europe ne devraient pas être conflictuels.

Le traité de Lisbonne verra le jour. Il n'y a pas de doute. Mais à quel prix ?

Les péripéties de l'Europe politique depuis Maastricht jusqu'à nos jours doivent faire réfléchir. Le jour viendra où il faudra accepter que les Etats qui ne souhaitent pas jouer le jeu des compromis et des concessions réciproques, qui est une des modalités consubstantielles de la construction européenne, se retirent de l'UE. Or c'est ce qui est prévu, pour la première fois, dans le traité de Lisbonne.


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

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