par Propos recueillis par Claude-Emmanuel Triomphe, le mardi 10 juin 2008

Entretien réalisé par Claude-Emmanuel Triomphe avec Tatiana Nedelcheva, présidente du conseil syndical de la poste bulgare dans la région de Rusé (frontière roumaine, au bord du Danube).


Pourquoi êtes - vous syndicaliste ?


Je l'ai toujours été. Quand j'ai été embauchée, il y a 30 ans, l'affiliation syndicale était obligatoire. D'un autre côté, j'ai toujours voulu m'engager pour quelque chose, on ne peut pas se dire citoyenne et ne rien faire. Dans ma famille, je suis la seule ainsi. La politique, surtout chez nous, ça ne m'intéresse pas, mais je veux être active dans la société et le syndicat me le permet. Assez vite, j'ai été une sorte de leader informelle pour mes collègues et puis ensuite ils m'ont élue comme présidente de notre conseil syndical local. La vie est pleine de surprises. Au départ, j'avais une formation musicale et puis je suis entrée à la Poste où depuis je gère un département financier, un service qualité et une partie de l'exploitation quotidienne. Il y a quelques années, on me faisait des tas de propositions pour devenir directrice, ou responsable des ressources humaines. Et puis il y a 5 ans, je suis entrée au Collège des Postes et télécommunications pour faire une formation d'économiste. J'ai eu mon diplôme. Mais depuis, on ne me propose plus rien. J'ai plus de 55 ans, je suis une syndicaliste très active, et je ne veux pas déménager à Sofia. Alors...


Aujourd'hui en quoi consistent vos activités syndicales ?


A la base, c'est d'écouter et de parler avec les gens de leurs problèmes, de leurs idées. Souvent, ils viennent vers moi, y compris pour leurs problèmes personnels, financiers, familiaux ou de santé. Et je dois trouver des possibilités pour les aider. Dans notre région, 99% du personnel est syndiqué, 60% dans note fédération et 39% dans une fédération concurrente. Les 1% restant sont des employés temporaires.

Une des choses les plus importantes, c'est le contrôle de notre convention collective d'entreprise au niveau local. Tous les mois, je réunis nos délégués pour examiner les problèmes collectifs, pour étudier les informations envoyées par la fédération et aussi pour répondre aux demandes de l'employeur. Enfin, nous faisons partie de la Commission de conciliation des intérêts, où siègent l'employeur et l'autre fédération syndicale, qui traite de l'emploi des fonds d'aide sociale, des conditions de travail et qui se réunit dès que l'une des parties le demande.


La libéralisation des services postaux et la modernisation de la Poste bulgare vous fait-elle peur ?


Notre fédération sort d'une expérience traumatisante, la privatisation de la BTK, l'ex opérateur public de téléphone. A la BTK, le syndicat n'a pas eu son mot à dire, les gens sont partis massivement et soi disant volontairement. Les managers convoquaient les employés un à un et leur promettaient des indemnités, non taxables, en contrepartie d'un engagement de départ immédiat. Nous venons de signer une nouvelle convention collective avec notre direction générale qui prévoit que l'employeur ne pourra pas licencier sans l'accord des syndicats et que tout départ devra être motivé par écrit. Si le syndicat s'oppose à un départ et que l'employeur ne respecte pas notre position, nous irions au tribunal qui a le pouvoir de réintégrer les employés. Aujourd'hui nous avons un directeur général de la poste qui nous annonce de grandes réorganisations, sans licenciements. Mais il va falloir changer de métier, ou de ville et ce ne sera pas simple. Dans beaucoup de petites villes, nos employées, car les femmes sont très majoritaires, travaillent à temps partiel pour moins de 150 € par mois. Nous savons que nous allons devoir changer mais comment nous en donner les moyens ? Et puis il y a les annonces de notre directeur d'un côté, mais de l'autre on ne voit pas grand-chose sur le terrain et tout cela reste très flou. Quelle garantie avons nous qu'aux prochaines élections le nouveau gouvernement ne s'engagera pas à nouveau dans une privatisation sauvage ?


Les salaires aujourd'hui c'est votre priorité numéro un ?


Avec la réorganisation à venir, oui. Vous savez, c'est très difficile de vivre avec des salaires aussi bas. Certes, ils ont augmenté de près de 50% en deux ans, mais cela compense à peine l'inflation, qui avec plus de 15% par an recommence à galoper depuis notre entrée dans l'Union Européenne. La Poste est un établissement public sous tutelle ministérielle mais aussi du FMI, qui doivent valider les augmentations de salaire négociées. L'Europe pour nous cela signifie une libéralisation très rapide alors que nous ne sommes pas prêts et ce d'autant que si l'Union exige cette libéralisation, elle ne fait pas grand chose pour contrôler sa mise en place et les privatisations qui en découlent. Je vous le dis : le scandale de la privatisation de la BTK nous rend très défiants. On va ouvrir le marché à des concurrents qui bien entendu ne sont pas prêts à couvrir cette multitude de petits villages que nous couvrons nous, et où nous offrons des services essentiels à des gens très simples, dont beaucoup de personnes âgées. Et que vont devenir les gens dans ces petits bureaux ? Enfin, heureusement, l'Europe a quelque bons côtés et pour moi c'est d'abord l'expérience des autres.


Le syndicalisme doit-il changer sa manière de faire en Bulgarie ?


Tout est loin d'être parfait. Jusqu'à présent, nous avons réussi à obtenir une bonne convention collective. Mais ce qu'il nous faut c'est plus d'énergie et même d'agressivité. Nous sommes dispersés sur tout le territoire. On pourrait travailler avec les maires, car dans les petites villes et les villages, la Poste est souvent installée dans la mairie. Mais nous commençons juste à y penser. Dans ces endroits, il y a beaucoup de chômage. On parle beaucoup des personnes avec des spécialités pointues, mais très peu des personnes peu qualifiées. La Poste donne des bourses à ses cadres pour se former mais à la fin de leur formation, beaucoup sortent de l'entreprise et vont travailler ailleurs, notamment dans les banques. Il faut faire bouger tout cela. Ici, on compte beaucoup sur l'UE pour contrôler et sanctionner ce qui se passe. Mais « ils » ne font rien ...Et le rôle social de la Poste, on dirait qu'ils s'en foutent !



Extrait de La lettre "Metis, correspondances européennes du travail" du 3 juin 2008

http://metiseurope.eu

Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :