En visite à Berlin le 5 juin 2008, le président russe Dmitri Medvedev a déclaré que "l'atlantisme comme seul principe historique était révolu". Dans son discours, il a averti que l'élargissement de l'OTAN vers l'Est " saperait, de manière radicale et pour longtemps" les relations entre la Russie et les pays européens. La semaine précédente, son mentor et premier ministre, Vladimir Poutine, était à Paris pour stigmatiser l'OTAN, qualifiée de "bloc militaro-politique". Les menaces se succèdent et la prudence manifestée par certains alliés à l'égard des candidatures ukrainienne et géorgienne, lors du sommet de Bucarest (avril 2008) est interprétée comme un signe de faiblesse ; le duumvirat Poutine-Medvedev s'empresse d'exploiter les divergences d'analyse entre alliés. Par ailleurs et contre l'évidence des faits, historiques et actuels, les dirigeants russes veulent voir en l'OTAN un symétrique inversé de l'ex-Pacte de Varsovie. Dans les chancelleries occidentales, on ne prête pas suffisamment attention à l'OTSC, ce "bloc militaro-politique" que Moscou s'efforce de mettre sur pied dans les profondeurs de l'hinterland eurasiatique.
Au commencement était la Communauté des Etats Indépendants (CEI), "syndic de faillite" en charge des républiques ex-soviétiques dans les années qui suivirent la "victoire froide" de l'Ouest sur le bloc communiste. La CEI est fondée à Minsk le 8 décembre 1991 et la mise sur pied hâtive de cette structure annonce l'imminente dislocation de la "Russie-Soviétie".
Initialement limitée à la Russie, à l'Ukraine et à la Biélorussie, elle semble prendre les contours d'une Union slave ; le 21 décembre suivant, la CEI est élargie à l'ensemble des républiques soviétiques d'Asie centrale, avec pour ambition de donner forme à un ensemble eurasiatique cohérent. Relevant de la communauté d'espace baltique, les républiques d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie se tiennent prudemment à l'écart de cette organisation post-soviétique. Certains experts raillent alors les nations baltes, pourtant victimes des déportations et des purges staliniennes, et leur "hyperatlantisme", qualifié de "maladie infantile du post-communisme".
Comme les autres nations de l' "Occident kidnappé"(Milan Kundera), l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont depuis incorporé les instances euro-atlantiques et l'attitude de Moscou confirme aujourd'hui les anticipations négatives des populations au contact ou à proximité immédiate de la Russie.
Divers facteurs centripètes - diaspora russe, interdépendance économique et énergétique, intérêts communs de sécurité expliquent la pérennisation de la CEI. En 1993, les gouvernements des Etats membres adoptent une charte et signent un accord de principe sur la formation d'une union économique. L'année précédente, ces mêmes gouvernements se sont réunis à Tachkent pour mettre sur pied un pacte de sécurité collective de la CEI (Accord de Tachkent, 15 mai 1992). Pour préserver le Tadjikistan de l'extension du chaos afghan, la 201ème division d'infanterie russe prend position sur les flancs du Pamir. Juge et partie, la Russie prétend aussi se poser en arbitre des conflits nationalitaires et frontaliers du Caucase-Sud (Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabagh) et de Moldavie (Transnistrie); l'actualité a depuis remis sur le devant de la scène certains de ces conflits que l'on prétend "gelés" (voir le soutien russe aux séparatismes de Géorgie).
En 1994, le président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaev, propose la formation d'une "Union eurasiatique", dotée d'une monnaie unique et d'un commandement intégré ; le duopole russo-kazakh était censé prendre la direction de cette " union", concurrente et rivale de l'Europe dans les profondeurs de l'hinterland eurasiatique. Conformément à certaines des thèses eurasistes, les "lois" de l'histoire et la géographie semblaient accoucher d'une entité post-soviétique, unitaire et intégrée, cadre de rassemblement de l'"étranger-proche" autour de la Russie.
Les années qui suivirent n'ont pas confirmé les attentes des dirigeants russes et le recours à la géométrie variable s'est imposé. Ainsi les divers accords et projets économiques mis en avant par les rhétoriques officielles ne réunissent-ils qu'une partie des Etats de la CEI (voir le "Marché commun eurasiatique" et l' "Espace économique commun"). La chose est vraie aussi sur le plan politico-militaire, encore que la CEI conserve des structures militaires. Réunis à Alma-Ata en février 1995, la majorité des Etats membres de la CEI a repoussé les projets d'intégration militaire les plus ambitieux. En 1999, année de renouvellement du pacte de sécurité collective de la CEI, l'Ouzbékistan, la Géorgie et l'Azerbaïdjan ont annoncé leur retrait de cette structure. Les autres Etats membres (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan) ont pour leur part décidé de prolonger ce pacte par une organisation et de lui donner un contenu militaire. C'est sur cette ambition qu'est fondée l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), à Chisinau, le 25 mai 2001.
Moscou s'efforce de promouvoir cette modeste structure, éclipsée par l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), en tant qu'instance de paix et de sécurité eurasiatique.
L'OTSC est mise en place en plusieurs étapes. Lors d'une seconde rencontre des dirigeants des Etats membres à Chisinau, en 2002, cette structure est érigée en organisation régionale, potentiellement reliée à l'ONU, conformément aux stipulations du droit international. Les organes dirigeants (Conseil permanent de sécurité collective et Secrétariat général permanent) et les structures militaires (Comité des chefs d'état-major ; Etat-major unifié, sis à Moscou ; Forces collectives à déploiement rapide ; projet de Forces de maintien de la paix) sont définis et mis en place entre 2003 et 2005. Un "groupe de travail" sur la coopération OTSCOTAN est fondé, avec pour objectif l'obtention d'un partenariat avec l'Organisation atlantique, au prétexte d'opérations communes de lutte contre le narcotrafic en Afghanistan et de facilités logistiques pour les troupes occidentales engagées sur ce théâtre d'opérations. Au regard des modestes proportions de l'OTSC, l'obtention d'un vis-à-vis avec l'OTAN constituerait une victoire diplomatique significative. Enfin, la création d'une Force collective anti-terroriste, appelée à coopérer étroitement avec le centre anti-terroriste de la CEI, est à l'ordre du jour .
Organisation sécuritaire à vocation centre-asiatique, l'OTSC s'est vue attribuer de multiples missions : la défense collective des Etats membres (souveraineté, indépendance et intégrité territoriale) ; le maintien de la paix, la sécurité et la stabilité régionale ; la lutte contre le terrorisme, contre la prolifération des armes de destruction massive et contre la criminalité transnationale (trafic d'êtres humains et immigration clandestine, trafic d'armes et de narcotiques). Les gouvernements des Etats membres se sont accordés sur les termes d'une doctrine de sécurité collective et ils se sont mutuellement engagés à des consultations sur le déploiement de troupes étrangères dans l'aire de compétences de l'OTSC. La présence militaire américano-occidentale en Afghanistan et sur diverses bases des pays du pourtour est ici visée, bien que la Russie n'ait pas un intérêt immédiat à voir les troupes de l'OTAN évacuer la région avant que la situation politique et militaire ne soit stabilisée. On se rappelle que dans les semaines qui ont suivi les attentats islamo-terroristes du 11 septembre 2001, Vladimir Poutine a facilité l'engagement américain et le bon déroulement de l'opération " Enduring Freedom".
Il est vrai que les capacités opérationnelles de l'OTSC demeurent limitées. Sur les trois groupes régionaux de forces projetables qui composent la Force de réaction rapide, seul le groupe centre-asiatique a été mis sur pied . La composante terrestre de la Force d'action rapide d'Asie centrale, dont l'état-major est basé à Bichkek (Kirghizstan), ne comprend que 4500 hommes , chaque pays membre fournissant deux bataillons (la Russie et la Tadjikistan en fournissent trois). La composante aérienne est stationnée sur la base de Kant (Kirghizstan), louée à la Russie sur quinze ans, par baux renouvelables de cinq ans. Le détachement déployé sur cette base se limite à 200 hommes et le nombre des aéronefs est tout au plus d'une dizaine d'appareils (dont cinq avions d'assaut). En dépit des effets d'annonce, les experts occidentaux n'ont pas constaté de montée en puissance du potentiel militaire de l'OTSC. Les moyens des Etats membres de l'OTSC sont limités, hétérogènes, les structures militaires souffrent de problèmes de financement et d'entraînement, et les exercices menés en commun ne sont que de faible envergure (lutte anti-terroriste et opérations contre le trafic de stupéfiants).
Bref, l'OTSC ne saurait être comparée à l'OTAN du point de vue du potentiel de puissance et des capacités opérationnelles.
Si l'OTSC n'est pas une "OTAN centre-asiatique ", elle n'en assure pas moins à la Russie divers avantages politiques et militaires. Cette structure collective permet d'ancrer la présence militaire russe en Asie centrale et elle contribue à maintenir un statu quo régional fortement menacé, moins par les Occidentaux que par la poussée multiforme de la Chine dans le "ilieu des empires". La visibilité de l'OTSC et l'effet dissuasif qui en découle visent à rappeler à Pékin, Washington et Bruxelles les prétentions russes dans leur "étranger proche" A cet égard, le fait que les initiatives militaires russes concernant l'OTSC sont plus rapides à se concrétiser que celles concernant l'OSC n'est pas un fait anodin. A la croisée de l'Orient et de l'Occident, les dirigeants politiques et militaires russe veulent voir en leur pays une puissance eurasiatique, un troisième continent entre Europe et Asie.
C'est à l'aune de ces représentations géopolitiques qu'il faut évaluer les perspectives des partenariats UE-Russie et OTAN-Russie.
Abstract
On a visit to Berlin (June 5, 2008), the Russian president Dmitri Medvedev declared that "Atlanticism as the sole historical principle was gone." In his speech, he warned that the NATO enlargement Eastwards "would undermine, dramatically and for a long time" the relations between Russia and the European countries. The previous week, his mentor and prime minister, Vladimir Putin, was in Paris to stigmatize NATO described as a "military-political bloc." The threats follow each other and the precaution shown by some allies with the candidacies of Ukraine and Georgia at the summit in Bucharest (April 2008) is interpreted as a sign of weakness; the duumvirat Putin-Medvedev quick seeks to exploit the differences in analysis between the Allies. Against the evidence of historical and present facts, the Russian leaders want to see NATO as a symmetrical reverse of the former Warsaw Pact. In the Western chancelleries, it does not pay enough attention to the CSTO, the "military-political bloc" that Moscow is striving to set up in the depths of the Eurasian hinterland.
Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l'Institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et chercheur associé à l'Institut Thomas More (http://www.institut-thomas-more.org).Spécialisé dans les questions de défense européenne, atlantique et occidentale, il participe aux travaux du Groupe PESD de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)(http://www.ipse-eu.org) et du Centre d'Etudes et de Recherches de l'Ecole Militaire (CEREM).