par Baudouin Bollaert, le mercredi 16 mai 2007

Calendrier oblige, les premiers mois de la présidence de Nicolas Sarkozy seront placés sous le sceau de l'Union européenne. Mais que pense vraiment le nouveau chef de l'Etat français de l'Europe ? Durant la campagne, il a soufflé le chaud et le froid. Selon les auditoires, il est apparu tantôt "européiste", tantôt "eurosceptique". On retiendra de ses discours aussi bien les attaques contre la Banque centrale européenne et l'euro fort que son projet de "Traité simplifié" pour sortir de l'ornière institutionnelle actuelle, son plaidoyer en faveur de la préférence communautaire face à la Chine et l'Inde ou son volontarisme fiscal…


Peu importe qu'il soit un "Européen de cœur", comme Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, ou un "Européen de raison", comme Georges Pompidou et Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy n'appartient pas à la même génération. Il mêle adroitement la passion pour l'action, l'art de la communication et le pragmatisme. "La France est de retour !", s'est-il exclamé au soir de son élection. On veut bien le croire. Mais la France ne retrouvera son rang et son influence à Bruxelles qu'en se réformant et se modernisant. Charité bien ordonnée commence par soi-même…

Oui, la France doit réapprendre à se regarder en face, sans narcissisme et, surtout, sans nationalisme mal placé. Les célébrations du 50 ème anniversaire du Traité de Rome ont donné lieu partout sur le Vieux Continent à de superbes fêtes et à de beaux discours. Notamment à Berlin. Les Français, hélas, n'en ont pas vu grand-chose… Au même moment, les candidats à l'élection présidentielle ont préféré réveiller les vieux fantasmes de l'identité nationale, à grands renforts de "Marseillaise", plutôt que d'honorer les pères de la réconciliation européenne. Cachez ce Monnet que je ne saurais voir ! Oubliez ce Schuman qui n'a rien compris à la grandeur de notre beau pays !...


Pourtant, les vrais patriotes, ce sont eux. "La seule solution d'une certaine grandeur française, écrivait Fernand Braudel en 1976 dans La dynamique de l'Occident, c'est de faire l'Europe". La Grande-Bretagne peut s'appuyer sur une culture mondialement dominante ; l'Espagne sur l'Hispanidad ; l'Allemagne sur sa place au cœur du Vieux continent… Mais la France ? A trop pleurer sur le lait renversé de la colonisation, de la collaboration, de l'immigration ou de la globalisation, elle perd de vue l‘avenir.

Cet avenir passe par l'Europe. Une Europe qu'il faut à tout prix consolider. Jean Monnet déclarait dans un discours prononcé à Strasbourg en 1952 : "Les hommes passent, d'autres viendront qui nous remplaceront. Ce que nous pourrons leur laisser, ce ne sera pas notre expérience personnelle qui disparaîtra avec nous ; ce que nous pourrons leur laisser, ce sont les institutions. La vie des institutions est plus longue que celle des hommes et les institutions peuvent ainsi, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives."


Aujourd'hui, si l'Union des vingt-sept n'est pas en panne, elle le doit à un marché unique et à des politiques communes (agriculture, transports, commerce, concurrence…) régis par le droit européen et le vote à la majorité qualifiée. Grâces en soient rendues aux rédacteurs du Traité de Rome ! Tout ce qui est venu s'agréger par la suite (défense, diplomatie, justice, police…) appartient encore à la coopération intergouvernementale -avec la règle paralysante de l'unanimité- et sort donc du cadre communautaire.

Il est abusif, par exemple, de parler de "Politique étrangère et de sécurité commune" : la PESC n'a de commune que le nom… Pourtant, comme le dit avec justesse Nicole Gnesotto, ancienne directrice de l'Institut d'études de sécurité de l'UE, ce sont les défis de la paix et de la sécurité qui pourraient relancer aujourd'hui une dynamique européenne. "La sécurité internationale, et d'abord celle du monde arabo-musulman, n'est plus en effet à la mesure d'aucun Etat membre, pas même des Etats-Unis", souligne-t-elle. 'Surtout, l'énergie, l'environnement, les grandes pandémies, le terrorisme international, l'immigration, chacun de ces défis globaux appelle une réponse collective des Européens".

Les dirigeants des Vingt-sept et, parmi eux, Nicolas Sarkozy, en prennent-ils assez conscience ? Des cinq institutions majeures de l'Union -le Conseil, la Commission, le Parlement, la Cour de justice et la Banque centrale- la plus malade est le Conseil des ministres. Cette institution hybride sert à la fois de chambre des Etats et d'organe exécutif. Avec les élargissements successifs, elle peine d'autant plus à retrouver son équilibre que les égoïsmes nationaux s'y étalent sans vergogne. Par comparaison, la Commission ou le Parlement semblent presque épargnés par la "révolution du nombre". De même pour la Cour de justice et la BCE (treize Etats membres seulement appartiennent à la zone euro)…

Parce que l'Union européenne doit devenir, faute de mieux, une "Fédération d'Etats nations", il faut donc sauver le Conseil. Et cette entreprise de salubrité publique passe par la nomination d'un "Président de l'Union", celle d'un "Ministre des Affaires étrangères", par l'élimination progressive du droit de veto et un mode de décision efficace avec la double-majorité (un texte sera adopté pourvu qu'il réunisse 55% des Etats membres représentant au moins 65% de la population). Sur tous ces points Nicolas Sarkozy est d'accord et cela se retrouve dans sa version "simplifiée" du Traité constitutionnel rejeté voici deux ans par les Français et les Néerlandais.

Mais il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Le nouveau chef de l'Etat français qui présidera l'Union à partir de juillet 2008 pourra-t-il convaincre, par exemple, la Pologne des jumeaux Kaczynski et le Royaume-Uni de Gordon Brown d'aller plus loin sur la voie de l'intégration européenne ? Comme chacun sait, M.Sarkozy est de sang hongrois par son père. Or, un vieux proverbe magyar affirme : "A la longue, le chien passe un compromis avec le chat". Les paris sont donc ouverts...


Ancien rédacteur-en-chef au Figaro Baudouin Bollaert est maître de conférences à Sciences-po et à Paris II. Il a publié récemment "Angela Merkel" (éditions du Rocher, 2006) et "L'Europe n'est pas ce que vous croyez"  un livre d'entretiens avec Jacques Barrot (Albin Michel-Fondation Robert Schuman, 2007).

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