La démission de Christian Wulff président allemand, pourrait être considéré comme un épiphénomène, une sorte même de non-événement dans une Europe autrement préoccupée par de problèmes économiques et financiers compromettant la construction européenne.
Une démission lourde de sens
Pourtant, cette démission est hautement symbolique car en fin de compte elle est lourde de sens. Après tout, la classe politique allemande aurait pu considérer que le peu d'influence du premier personnage de l'Etat dans l'ordre protocolaire aurait dû laisser indifférent quant aux reproches qui étaient adressés à M. Wulff.
En effet, le président allemand ne préside même pas le conseil des ministres. Il dispose d'un pouvoir encore plus restreint que le président de la IV° République en France. Mais dans un pays où tout est affaire de symbole, et surtout dans le cadre d'une constitution qui avait été élaborée en lendemain de la seconde guerre mondiale puis finalement mise en uvre en 1949, le rôle du président pour être symbolique, n'en revêt pas moins une signification particulière : celle d'une institution censée représenter l'unité de l'Etat au-delà des différences politiques.
Le président est garant de l'unité nationale, il protège les valeurs de la société démocratique au-delà de toutes les combinaisons partisanes et, en cas de crise politique majeure, doit assurer la continuité de l'Etat.
Les moyens de l'Etat lui sont accordés et il vit dans un luxueuse demeure qui se prénomme le château de Bellevue au sein même du Tiergarten, ce grand parc situé en plein cur de Berlin et qui symbolise à lui tout seul les heures les plus glorieuses et les plus sombres de l'histoire allemande, à proximité duquel sont situés aussi le Parlement, l'ancien Reichtag, et la chancellerie dépourvus de tout charme architectural. La fonction est au final solennelle et c'est pourquoi son locataire doit faire preuve d'une intégrité hors pair qui ne peut s'accommoder de quelque liberté avec la vérité et l'honnêteté
Un couple « bling-bling »
Celui qui avait été élu par le Parlement dans des conditions difficiles en 2010 était arrivé au château de Bellevue auréolé d'un passé de manager, marié à une femme plus jeune, dans un contexte glamour et « bling-bling » qui allait, disait-on alors, faire de la concurrence au couple Sarkozy-Bruni en France
Toute la presse n'avait alors d'yeux que pour Bettina Wulff aujourd'hui seulement âgée de 39 ans, très « people » et qui arborait fièrement le tatouage tribal qu'elle porte sur le bas de son épaule droite
En quoi un tel tatouage allait-il faire chavirer le cur des Européens ? Nous ne le saurons probablement jamais puisque cette vision bucolique a très rapidement lassé et fini par emporter M. Wulff moins de deux après son élection
Car l'Allemagne, pas plus que les pays nordiques, ne plaisante pas avec tout ce qui peut rassembler à des signes de corruption. A y regarder de plus près, les événements qui ont entraîné la démission de Christian Wulff auraient, au mieux, fait sourire ailleurs, notamment dans les pays plus latins
Lorsque M. Wulff était ministre-président du Land de Basse-Saxe, il aurait donc, via sa jeune épouse, contracté un prêt auprès d'un homme d'affaires à un taux préférentiel. Cela n'aurait pas dû entraîner sa démission, mais il avait alors menti sur les conditions d'obtention de ce prêt tant à la presse qu'au Parlement régional
Il aurait également accepté de se faire offrir de voyages et vacances sans débourser un euro
Tous ces petits péchés véniels pourraient prêter à sourire plus on se rapproche du sud de l'Europe où de telles pratiques semblent monnaie courante mais où personne ne semble vraiment en tenir rigueur à ses dirigeants parce que la presse en général, sauf la presse satirique, tait ce genre de choses.
Des pratiques de moins en moins tolérées en Europe
Aujourd'hui que ce soit en France ou ailleurs, l'état d'esprit évolue. Les citoyens son ainsi de plus en plus choqués par l'utilisation d'une position privilégiée à des fins privées, que ce soit à droite ou à gauche, mais sans que les personnes qui en sont la cible n'en tirent forcément les conclusions sauf lorsque cela gêne le pouvoir politique suprême. L'utilisation des moyens de l'Etat ou d'une collectivité territoriale à des fins privées est aussi plus courante qu'on ne le croit, mais cela reste pour la plupart du temps non connu du grand public.
Des affaires retentissantes en France ont aussi montré que le seuil de tolérance par rapport à ces situations avait atteint un degré au-delà duquel celles-ci ne sauront bientôt plus acceptées
Elles le seront d'autant moins que les citoyens sont ainsi de plus en plus touchés par la crise, le chômage les problèmes de logement.
Pour revenir à l'Allemagne, ce genre de choses est strictement impensable. La chancelière allemande ne se déplace pas à sa guise de résidences officielles en résidences officielles ; elle vit dans un modeste appartement à Berlin et ne débarque pas dans des châteaux allemands dignes de Louis II de Bavière à chacun de ses déplacements, surtout lorsque ceux-ci sont privés.
En fin de compte, si on devait un peu s'inspirer d'Angela Merkel, ce côté-là serait certainement à méditer
Reste qu'en déclarant officiellement qu'elle allait chercher un candidat de consensus pour remplacer Christian Wulff, la chancelière d'une part montre la gravité de la situation qui a conduit à la démission de Christian Wulff et d'autre part, que cette situation l'a fragilisée politiquement
Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à Sciences-Po Paris, spécialiste des questions européennes.