par David Michel, le lundi 03 janvier 2011

Si l'on devait dater le renouveau d'un courant national-populiste en Europe, ce n'est sans doute pas l'année 2010 que l'on choisirait. Pourtant, cette année a donné lieu à une série d'évènements politiques notables qui sont la marque d'une réelle transformation et que l'on est tenté d'interpréter comme un retour en force du populisme et de la méfiance à l'égard des étrangers.


Le 8 octobre dernier, la reine des Pays-Bas a chargé le libéral Mark Rutte, vainqueur des élections législatives de juin 2010, de former un gouvernement. La terre du multiculturalisme moderne et tolérant vire alors résolument à droite : le nouveau gouvernement, minoritaire au Parlement néerlandais, devra en effet s'appuyer sur les voix du Parti de la Liberté (PVV) de Geert Wilders, connu pour ses saillies islamophobes, notamment son film Fitna, et le soutien assez important qu'il recueille au sein de la population du pays. Le mois précédent, la Suède voyait, quant à elle, aussi entrer au Rikstag (le Parlement suédois), 20 députés des Démocrates de Suède (SD), parti de l'extrême droite. Le SD avait également fait campagne sur des thèmes ouvertement xénophobes et antimusulmans.

Il est ainsi possible de multiplier les exemples de gouvernements européens aux tendances extrémistes. A l'est, la Slovaquie n'a mis fin que très récemment au gouvernement Fico qui alliait sociaux-démocrates et extrême-droite. La Hongrie a ouvert la voie à un gouvernement de droite disposant d'une majorité des deux-tiers au Parlement, le parti xénophobe et anti-rom Jobbik recueillant quant à lui plus de 16% des suffrages des électeurs hongrois. L'Italie de Silvio Berlusconi ne cesse de se faire remarquer par les prises de position virulentes des ministres de la Ligue du Nord, parti membre de la coalition actuellement au pouvoir. Enfin, la France a provoqué un tollé en menant cet été une politique ultra-répressive à l'encontre des Roms. Le discours très musclé du président Sarkozy a donné lieu à des joutes oratoires au Parlement français mais surtout au sein des Institutions Européennes, déclenchant une crise très sérieuse entre la Commission et le gouvernement français.

Le retour du national-populisme ?

Ces évènements permettent de saisir l'ampleur du retour d'un nationalisme qui touche sans exception l'ensemble des pays de l'Union Européenne et du continent européen plus largement. Le "raz-de-marée chauvin" pourrait être aisément mis sur le compte de la crise économique et financière ayant débuté en 2008. En effet, des phénomènes identitaires similaires avaient éclaté lors de la grande dépression des années 1930. Sans céder au catastrophisme sur le retour imminent du fascisme et du nazisme, il est nécessaire de s'interroger sur le phénomène actuel qui semble irrésistible et éminemment dangereux.

Tout d'abord, il importera de s'entendre sur ce que signifie l'expression national-populisme. Originellement utilisé par le sociologue Germani, dans les années 1970, il désignait alors un populisme mâtiné de nationalisme. Ceci revenait ainsi à encenser l'idée de peuple, à dénigrer les élites et prôner la venue d'un leader charismatique sauvant la nation. Le terme a connu une destinée puisque le politologue Taguieff l'a réutilisé pour désigner le parti d'extrême-droite français Front National, incarné par la figure de son chef Jean-Marie Le Pen.

Il est alors nécessaire de considérer dans les faits le phénomène souligné par les politologues et d'en comprendre les mutations survenues lors de la dernière décennie. L'année 2001 s'était très clairement distinguée par les attentats meurtriers du 11 septembre aux Etats-Unis. Les conséquences de l'effondrement des tours, la prise de conscience de la vigueur du courant islamiste et l'émoi mondial survenu sont encore palpables. Au-delà des conséquences guerrières visibles, guerres d'Afghanistan et d'Irak, multiplication des attentats de la nébuleuse Al Qaida partout dans le monde et fin de l'optimisme des années post-Guerre Froide, il existe un élément plus sournois qui s'infiltre dans les sociétés occidentales. Il s'agit très clairement du repli identitaire actuel, attesté par la multiplication de gouvernements réactionnaires et de diatribes dans lesquelles le racisme gagne du terrain.

Or, l'Europe est considérée depuis l'époque des Lumières comme un bastion du libéralisme. Si la démocratie a mis du temps à s'y installer, les idées de tolérance, de libertés civiles et d'intégration des étrangers s'y sont affirmées avec toujours plus de force. L'émancipation des peuples entre le XIXème et le XXème siècle constitue un fait indéniable. Enfin, la fin de la Guerre Froide devait signer l'avènement de la démocratie occidentale et d'un capitalisme de marché, si l'on en croit les propos de l'américain Francis Fukuyama.

Pourtant, la dernière décennie semble avoir remis en cause nombre d'acquis. Les modèles d'intégration des populations étrangères semblent être à bout de souffle. Les réponses apportées à ces maux se révèlent belliqueuses, chauvines et de plus en plus anti-démocratiques. La prise de conscience de l'importance des populations musulmanes installées en Europe n'a en outre pas permis un aggiornamento des politiques d'intégration et une remise en cause des identités nationales. Ce qui se produit actuellement correspond plus à un repli extrémiste poussant toujours plus vers la communautarisation et le racisme larvé, autrefois monopole de l'extrême-droite.

L'immigration, au cœur de toutes les préoccupations

Le cas français illustre bien le phénomène. La montée électorale du parti d'extrême droite de Jean-Marie Le Pen, le Front National (FN), a débuté avec l'arrivée du premier gouvernement socialiste depuis 1958. La droite française s'est alors déchirée pour savoir comment réagir à cela tandis que le président socialiste instrumentalisait l'évènement à des fins électorales. La stratégie du cordon sanitaire (refuser toute alliance avec le FN) a connu des heurs et des malheurs. Mais dernièrement, la reprise du discours du FN par une partie de la majorité de droite au pouvoir semble indiquer que l'on arrive à la fin de la mise au ban de l'extrême-droite.

Au sein même de la majorité, placée sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, des voix se sont même faites entendre pour relancer l'idée d'une alliance avec le FN, dans l'optique de se prémunir contre d'éventuelles défaites électorales lors de "triangulaires" (socialistes, droite et FN). Les violences de l'été passé, mettant aux prises forces de l'ordre et membres de la communauté Rom, ont mis en lumière la tragique condition de ces derniers. Peuple nomade, ils sont en butte à l'hostilité des pays européens depuis de nombreux siècles et l'Allemagne nazie a tenté de les faire disparaître lors de la seconde guerre mondiale. Problème originellement cantonné à l'Europe de l'est – la communauté Rom est depuis longtemps présente en Roumanie – le sort des populations Roms s'inscrit aujourd'hui largement au-delà des pays d'Europe centrale et de l'est, en raison de la liberté de circulation dont jouissent tous les citoyens de l'UE. La stigmatisation des Roms en France, qui s'est traduite par l'édiction de circulaires très explicites et par le dépôt de propositions de loi très controversées au Parlement, montre combien le problème échauffe les esprits. A la suite du débat avorté sur "l'identité nationale", voulu par le président français, un racisme virulent a trouvé un terreau fertile pour s'installer dans le pays des "droits de l'Homme ".

Les dérapages de ministres français ont abondé au point que des instances internationales telle que l'ONU se sont officiellement inquiétées de la dérive de l'Etat français.

Pour autant, l'hexagone n'est pas le seul pays à avoir ouvert un débat aux aspects conflictuels sur la question de l'immigration. La publication d'un livre au ton raciste par un membre du directoire de la Banque Centrale Allemande (Bundesbank) et du parti social-démocrate national (SPD), Théo Sarrazin, a provoqué beaucoup de remous sur la scène politique. Les écrits clairement islamophobes ainsi que les propos antisémites de Théo Sarrazin ont fait des émules au sein de l'aile très conservatrice des partis chrétien-démocrate et social–chrétien (CDU et CSU, respectivement). Le ministre-président du land de Bavière Horst Seehofer s'est exprimé de manière très critique à propos des Turcs installés en Allemagne, tandis que la chancelière allemande Angela Merkel (CDU), habituellement modérée, renchérissait an actant de « l'échec total du multiculturalisme en Allemagne». Le fait que l'Allemagne fédérale connaisse une problématique identitaire similaire à celle de la France n'a cessé d'inquiéter au regard du poids des deux pays dans l'UE. Alors que la France prône catégoriquement l'intégration par l'effacement des différences (modèle assimilationniste), l'Allemagne a suivi un modèle plus indistinct. Les trente dernières années ont en effet ouvert la voie à de multiples débats sur le modèle à choisir, français ou plutôt anglo-saxon.

Le concept de multikulti prôné par les Grünen (Verts) avait malgré tout semblé finir par s'enraciner dans la société allemande. L'acte de décès de l'intégration des étrangers par des leaders nationaux importants téléporte le débat vers l'immigration même.

Lors de la rédaction du Traité Constitutionnel Européen - adopté sous une forme remaniée en Juin 2007 au Sommet de Lisbonne – le débat sur les racines chrétiennes de l'Europe avait déjà offert un aperçu de la situation actuelle. Une Europe construite sur la valeur de laïcité et ouvrant pourtant un tel débat ne pouvait qu'inquiéter la Turquie. Le pays à majorité musulman tente effectivement d'entrer dans l'UE depuis 1963. Le refus officiel d'une telle perspective par M. Sarkozy et Mme. Merkel n'a fait qu'attiser les tensions xénophobes européennes et le repli nationaliste turc. L'incapacité actuelle des partis de gauche au gouvernement à élaborer une réponse à ce reflux de la droite nationaliste n'est pas pour rien dans la dégradation du débat public.

Plusieurs politologues – européens et américains – se sont interrogés sur les échecs électoraux de la gauche alors que la crise – espéraient ces mêmes partis – aurait du leur fournir des armes pour dénoncer et vaincre un capitalisme inspiré par des politiques néolibérales.

Les écrits du sémiologue italien Raffaele Simone offrent un aperçu philosophique du débat actuel. S'interrogeant sur les échecs de la gauche et le virage populiste des gouvernements européens, il explique que les valeurs portées par la droite sont tout simplement plus en phase avec les attentes des électeurs. La recherche du plaisir, la consommation effrénée et la méfiance de l'étranger ont semble t-il guidé des votes que certains qualifieraient de réactionnaires.

Ainsi donc, la "vieille Europe" nationaliste que décriait déjà Victor Hugo et les pères de l'Union Européenne semblerait être de retour. Le débat sur les identités nationales et l'immigration surgit alors que le capitalisme est ébranlé jusque dans ses fondations. Le désarroi face à une crise sans fin et aux conséquences désastreuses s'est rajouté à la "découverte" de la troisième religion de l'Europe, l'Islam, et au travail de recherche identitaire que son intégration nécessite forcément.

La classe politique, les citoyens engagés et les experts politiques ne sauraient écarter le débat sans prendre à bras-le-corps l'ensemble des bouleversements survenus en Europe depuis un demi-siècle. L'incapacité à s'adapter au changement est à l'origine du désordre actuel qui touche, par la même, les Etats-Unis, pays pourtant construit sur les vagues d'immigration successives de son histoire.


David Michel est étudiant en Master 2 « Politiques européennes » de l'IEP de Strasbourg

Organisations en lien avec Fenêtre sur l'Europe :