par Edouard Pflimlin, le vendredi 31 décembre 2010

La nouvelle année débute bien pour la zone euro. 12 ans après son lancement officiel – le 4 janvier 1999 – et 9 ans après la mise en circulation des pièces et billets début 2002, elle accueille un nouvel Etat-membre. En effet, après la Grèce en 2001, après la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008 puis la Slovaquie en 2009, c'est l'Estonie, une ancienne république soviétique, qui passe à l'euro le 1er janvier.


Créée en 1999, par 11 des 15 pays que l'Union européenne comptait alors: l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal La zone euro passe donc à 17 Etats-membres avec ce pays balte. Elle va donc encore se renforcer et comptera environ 330 millions d'habitants (1).

Ensemble, ces pays représentent un important poids économique et commercial: le Produit intérieur brut (PIB) de la zone euro atteignait 8.956 milliards d'euros l'an dernier, selon l'office européen des statistiques Eurostat. C'est moins que celui des Etats-Unis, le pays qui pointe à la première place dans l'économie mondiale, mais plus que celui de la Chine ou du Japon.

Cet élargissement de la zone euro intervient alors que les finances publiques de beaucoup de pays ont toutefois dérapé suite à la crise financière de 2008-2009, créant de la méfiance sur les marchés financiers vis-à-vis des pays jugés les plus fragiles et plongeant depuis plusieurs mois la zone euro dans la pire crise de son existence. La Grèce et l'Irlande ont eu besoin d'une assistance financière en 2010. Et la zone euro a été obligée de faire évoluer sa gouvernance et de durcir les règles encadrant les finances de ses membres.

Le "Tigre balte", bon élève

Mais l'Estonie fait figure de plutôt bon élève en matière financière. En effet, pour adopter le 1er janvier la monnaie européenne, l'Estonie, un pays de seulement 1,3 million d'habitants, s'est soumise à tous les critères du Traité de Maastricht, fondateur en 1992 de l'union économique et monétaire (2). Ces critères concernent principalement les limites de l'inflation, de la dette et du déficit des finances publiques ainsi que la stabilité des taux de change. Une inflation trop élevée a compromis la première tentative de Tallinn de rejoindre la zone euro en 2007, quand l'économie estonienne était en surchauffe. L'Estonie a même été surnommée le "Tigre balte » quand, sa croissance atteignait des taux très élevés, portée par sa spécialisation dans les hautes technologies de l'information et de la communication. On a d'ailleurs aussi parlé de "eEstonie" ! tant Internet y est développé.

Cependant l'inflation devrait atteindre en 2010 environ 2,7 %, un peu au-dessus de la barre de 2 % d'inflation annuelle que se fixe la Banque centrale européenne.

Les candidats à l'euro doivent aussi maintenir leur déficit public qui regroupe les déficits du gouvernement central et des collectivités locales, sous la barre de 3 % du PIB. Face à la crise, le gouvernement estonien de centre-droit a coupé dans les dépenses, avant de voir les recettes fiscales rebondir inopinément vers la fin de l'année dernière. En conséquence, le déficit public de l'Estonie en 2009 a été de 1,7 % du PIB, très loin d'un pourcentage à deux chiffres qui hante certains autres pays de l'UE. Le déficit attendu dans ce pays balte de 1,3 million d'habitants est de 1,3 % en 2010 et de 1,6 % en 2011. La France dépasse les 8 % !

L'Estonie a traditionnellement une politique budgétaire économe et a affiché des excédents budgétaires de 2002 à 2007. Son objectif affiché est de revenir à un excédent en 2013.

La limite de la dette publique est fixée par le Traité Maastricht à 60 % du PIB. Durant les dix dernières années, l'Estonie a mené une politique d'emprunt prudente. Sa dette publique de 7,2 % du PIB ne représente même pas un dixième de la moyenne des 27 pays membres de l'UE.

La dette estonienne risque d'atteindre cette année 8% du PIB et il est prévu qu'elle augmente à 12,8 % en 2011.

Tallinn remplit aussi depuis longtemps le critère de la stabilité des taux de changes.

Créée en 1992 pour remplacer le rouble soviétique après le retour de l'Estonie à l'indépendance vis-à-vis de Moscou, la couronne estonienne a été amarrée à l'euro au taux fixe de 15,6466 aussitôt après la naissance en 2002 de la monnaie européenne.

Selon un sondage réalisé fin décembre 2010 à la demande du gouvernement, 52 % des Estoniens sont favorables au passage à l'euro et au remplacement par l'euro de la couronne, monnaie nationale créée à la place du rouble soviétique en 1992, après cinq décennies de domination de Moscou. 39 % y sont opposés, alors qu'un sondage indépendant donne 49 % d'opinions positives et 43 % d'opinions négatives. (3).

Le gouvernement estonien de centre-droite clame que le passage à l'euro est avantageux et constitue une étape logique pour une petite économie ouverte à la mondialisation. Le Premier ministre, Andrus Ansip, insiste sur le fait que l'adhésion à la zone euro "apportera la stabilité et la fin de la spéculation, incompétente sinon malveillante, sur la dévaluation de la couronne". "Le Fonds monétaire international indique que le passage à l'euro devrait accélérer la croissance entre 0,15% et 1% par an au cours des vingt prochaines années", a déclaré le ministre de l'économie estonien, Juhan Parts. "Notre commerce extérieur se fait à 80 % à l'intérieur de l'UE. Le marché commun est avantageux pour nous tous. Il permet aux entrepreneurs estoniens de vendre leurs produits plus facilement, créant ainsi des emplois et garnissant les tables", a-t-il ajouté.

Le pays a par la suite été touché de plein fouet par la crise mondiale. Son économie s'est contractée de 14,1 % en 2009, soit l'une des plus fortes chutes dans le monde. En 2010, le PIB estonien devrait toutefois croître de 2,5 % avant une hausse attendue de 3,9 % en 2011.

"La situation actuelle indique clairement que de nombreux autres pays de l'UE devraient avoir des politiques de rigueur comme l'Estonie", a déclaré Andrus Saalik, chef du département de macro-économie au ministère des finances estonien.

Cependant, pour Anti Poolamets, chef d'un petit mouvement anti-européen et anti-euro, l'adhésion à la monnaie commune est très mauvaise pour l'Estonie : "Pendant les 48 ans passés dans la zone du rouble, notre pouvoir de décision était proche du zéro, et il en sera de même dans la zone euro". "Combien de temps un système, dont pratiquement aucun membre ne respecte les critères de Maastricht ou les exigences du pacte de stabilité, peut encore tenir ?", s'interroge-t-il.

A l'Est, tous les Etats ne sont pas favorables à l'euro

En Europe de l'Est, plusieurs Etats s'interrogent mais souvent parce qu'ils ne remplissent pas les critères nécessaires à l'adhésion ou parce que leur économie est fragilisée par la crise. L'enthousiasme de la plupart des autres candidats est aussi tempéré par les déboires de la zone euro (4): les Polonais ne comptent pas y entrer avant 2015 et les Tchèques ne fixeront même pas de date avant quatre ans. Tous les pays qui ont rejoint l'UE depuis 2004 se sont engagés à adopter à terme la monnaie commune. Mais la crise mondiale les a éloignés des critères requis et leur a fait fixer d'autres priorités immédiates.

La République tchèque s'est placée délibérément à l'autre extrémité du peloton. Son Premier ministre, Petr Necas, en poste depuis juillet, a déclaré qu'il ne fixerait même pas de date d'adhésion avant la fin de son mandat de quatre ans.

En Hongrie, le Premier ministre, Viktor Orban, a estimé qu'au vu de l'état des finances publiques, l'adhésion à l'euro n'était plus d'actualité. Le président roumain, Traian Basescu, n'a pas exclu que son pays entre dans la zone euro plus tard qu'à la date initialement prévue du 1er janvier 2015, pour mieux préparer l'économie nationale afin d'éviter un scénario à la grecque.

En revanche, la Bulgarie veut y adhérer "le plus vite possible", selon son ministre des finances, Simeon Djankov. Le ministre bulgare a cependant reconnu que l'entrée dans le mécanisme MCE II, antichambre de la zone euro, lui semblait impossible avant la fin de 2011, ce qui repousserait la date d'adhésion au delà de 2013.

L'adoption de l'euro par l'Estonie a néanmoins motivé ses deux voisins baltes. "Tout investisseur qui décidera de placer son argent (dans un pays balte) choisira l'endroit où l'euro est déjà en place", a remarqué le gouverneur de la banque centrale de Lettonie, Ilmars Rimsevics. "L'année 2014 reste notre objectif stratégique", a déclaré Virgis Valentinavicius, le porte-parole du Premier ministre, Andrius Kubilius.

La Pologne, la plus grande économie de la région et le seul membre de l'UE à avoir préservé la croissance sur 2009, ne prévoit pas de rejoindre la zone euro avant 2015. Son ministre des finances a prévenu récemment que "le chemin sera long". Mais la Pologne pourrait intégrer en 2013 le mécanisme de change ERM2, prélude à une entrée dans la zone euro, déclare lundi 27 décembre Jacek Rostowski. Interrogé par le quotidien Rzeczpospolita sur le fait de savoir si l'entrée de Varsovie dans l'ERM2 était possible pour 2013, le ministre a répondu: "Oui, j'imagine". "Il est difficile de préciser aujourd'hui une date d'entrée dans la zone euro, étant donné les fortes turbulences qu'elle traverse", a-t-il toutefois souligné.

Il reste que tous les pays de l'UE ont vocation à rejoindre la zone euro s'ils respectent les critères énoncés. Deux pays ont obtenu une dérogation (Royaume-Uni et Danemark), et la Suède un report pour son adhésion. De nombreux Etats s'interrogent, y compris les pays membres, au premier rang desquels l'Allemagne, première économie européenne, en forte croissance en 2010, sur la pertinence du maintien de la zone euro. Le débat est déjà ancien, il existait avant le lancement de la monnaie unique (6). Des économistes aussi fameux que Milton Friedman, estimaient que la zone euro éclaterait faute de ne pas être une zone monétaire optimale, avec la mobilité du travail et une certaine unité budgétaire, permettant d'amortir les chocs économiques.

Depuis l'Union monétaire a tenu, mais est gravement menacée. Certains parient sur son éclatement prochain.

Toutefois l'attrait pour les pays de l'Est de l'adhésion à la zone euro montre aussi que l'Union monétaire est bien perçue comme un facteur de stabilité économique et politique donc de paix par de nombreux Etats et habitants de l'Est européen.

Sources :
(1) « La zone euro: bientôt 17 pays et une crise sans précédent », AFP, 27 décembre 2010

(2) « La route de l'Estonie vers la monnaie européenne », AFP, 27 décembre 2010

(3) « L'Estonie adopte la monnaie européenne malgré la crise de la zone euro », Kairi Soosaar, AFP

(4) « L'Europe centrale avance vers l'euro en ordre très dispersé », Stanislaw Waszak, AFP
(5) Reuters, 27 décembre 2010.

(6) Pour ces débats, on peut lire l'analyse de Milton Friedman et d'autres dans : Edouard Pflimlin, L'Odyssée de l'euro, Collection Découvertes, Gallimard.

Lire aussi l'entretien avec Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne : http://www.robert-schuman.eu/entretien_europe.php?num=31

Voir aussi sur le site du Think tank Brugel, les questions sur l'euro, sur la manière de relancer la croissance en Europe, etc… http://www.bruegel.org/


Edouard PFLIMLIN est journaliste et auteur d'un livre sur l'histoire de la monnaie européenne : « L'Odyssée de l'euro », Collection Découvertes, GALLIMARD

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