par Bernard Barthalay, Laurent François, Sante Granelli, Philippe Laurette, Alberto Maiocchi, Robert Müller, Babette Nieder, Francesco Pigozzo et Carolin Rüger.
Le 22 février, la coalition majoritaire au Bundestag a fait connaître sa volonté de rejeter catégoriquement tout rachat de dette nationale des pays membres de la zone euro par le mécanisme européen de stabilité à mettre en place en 2013, engageant l'Allemagne au delà des prochaines échéances électorales. La Bundesbank avait conclu dans le même sens son rapport mensuel. Pas question dans ces conditions de restructurer la dette des Etats insolvables.
Cette position est lourde de conséquences, car elle inaugure deux scenarii non exclusifs:
1 les Etats acculés à la banqueroute devraient quitter la zone euro, leurs monnaies se déprécieraient, les ventes de produits allemands sur leurs marchés nationaux diminueraient et les spéculateurs veilleraient à la restauration du statu quo ante, un marché des changes intra-européen, dont ils tiraient tant de profits, aux dépens des échanges et de l'emploi;
-2 la BCE, en charge de la stabilité de l'euro, devrait retarder le défaut de paiement des Etats les plus vulnérables, en achetant leurs bons du Trésor: elle deviendrait une bad bank et l'euro une mauvaise monnaie; l'Allemagne aurait une bonne raison de revenir au mark, qui s'envolerait, et les ventes de produits allemands diminueraient encore. Exportations compromises, chômage et fin de l'euro.
La crise de l'Europe est d'abord une crise allemande. L'unification (Einigung) n'est plus la priorité absolue des gouvernements allemands, bien qu'elle figure comme telle dans la Loi fondamentale. Par plusieurs décisions successives, la Cour constitutionnelle allemande a interdit toute extension graduelle de l'action européenne à des domaines nouveaux sans l'accord préalable du Bundestag et conditionné à une refondation démocratique et constitutionnelle de l'Europe l'attribution à celle-ci de compétences nouvelles. La coalition au pouvoir gère la crise financière en anticipant d'éventuels nouveaux jugements restrictifs de la Cour constitutionnelle.
Depuis la réunification, Berlin est tenté de s'engager seul dans la mondialisation, au risque de sacrifier des pans entiers du modèle social qui lui vaut à l'Allemagne l'admiration de ses voisins et partenaires. Les forces contraires, fidèles aux principes fondateurs, et qui résistent au capitalisme de prédation, ont à plusieurs reprises proposé la fédération de l'Europe autour d'un noyau franco-allemand. Retenons au moins le document Schäuble-Lamers de 1994 et le discours de Joschka Fischer à l'Université Humboldt en mai 2000. La France a décliné l'offre.
Dans la crise financière, les Allemands, malgré une réputation de solidité et de stabilité encore intacte, dont témoigne le triple A des agences de notation, sont en proie au doute: la transparence des stress tests expose au monde la sous-capitalisation de leur secteur bancaire public, au grand dam de la Bundesbank.
Berlin exige un « pacte de compétitivité » en contrepartie de la garantie de crédit que le Bundestag vient de refuser, c'est-à-dire un engagement des pays membres de la zone euro à faire preuve d'autant de vertu que l'Allemagne en termes de politique budgétaire et de marché du travail. En réponse, que fait Paris, sinon répéter le Traité (de Rome), qui assigne au Conseil une tâche dont il ne s'est pas acquitté en cinquante ans: la coordination des politiques économiques; ou énoncer des formules, comme celle de « gouvernement économique »? Paris veut-il un « gouvernement économique », si cela veut dire un gouvernement (tout court) conduisant une politique économique (commune)? Est-ce bien sûr? Faillite de l'intergouvernemental et incohérence.
Pourquoi Paris (ou quelque autre capitale que ce soit) consentirait maintenant, sans contrepartie du côté allemand, à un transfert de souveraineté fiscale et budgétaire, comme prix de l'union économique? Paris anticipait-il l'hostilité du Bundestag, et s'y est-il délibérément associé par avance, en refusant récemment avec Berlin l'émission d'obligations publiques européennes (euro-bonds), dont chacun sait qu'elle supposerait la création de l'émetteur, à savoir un Trésor fédéral de la zone euro, comme département ministériel du gouvernement de futurs Etats-Unis d'Europe? Où est la recherche de l'intérêt commun?
La crise européenne est donc aussi une crise française: une crise d'imagination et d'indécision.
Pour nous, l'objectif est clair: il suffit de revenir aux sources du projet européen, sans céder aux sirènes de la mondialisation, dont le chant tient en deux couplets redondants: « l'Etat est mort, vive le marché » et « l'Europe n'a pas besoin d'un Etat ». Dans un monde d'Etats-continents, comme dans le monde bipolaire de la guerre froide, il n'est qu'un objectif qui vaille: la fédération.
Des étapes: il en faut trois. D'abord, un pacte. Pas un « pacte de compétitivité », éludant la question de la souveraineté, mais un pacte fédérateur, ouvert à ceux qui visent l'unité politique du continent, liant indissolublement l'union économique (budgétaire et fiscale) à la légitimation démocratique de cette unité. Puis la mise en place (selon un calendrier précis) des outils de l'union économique (fédération budgétaire), notamment du Trésor. Enfin, le processus constitutionnel (participatif et représentatif) lui-même.
Un calendrier: un cas de force majeure peut précipiter les choses, mais il ne semble guère probable de pouvoir réinitialiser en mars ou mai de cette année la stratégie actuelle de résolution des crises. La fin de l'année sera, pour jeter les bases d'une nouvelle stratégie, la dernière fenêtre d'opportunité avant des échéances électorales lourdes, en France et en Allemagne. Elle pourrait être l'occasion d'introduire un Institut budgétaire et fiscal (à l'image de l'Institut monétaire, le précurseur de la BCE), pour définir les outils, les procédures et les ressources du futur Trésor, à mettre en place au plus tard en 2014, à un siècle du premier suicide collectif.
Publié le 9 mars 2011 par le Europe-27
http://blog.slate.fr/europe-27etc/
Les auteurs :
Bernard Barthalay, économiste, Président de Puissance Europe/Weltmacht Europa.
Laurent François, directeur de la rédaction de Tout ça Magazine.
Sante Granelli, conseiller d'affaires en propriété intellectuelle, secrétaire général de Puissance Europe/Weltmacht Europa.
Philippe Laurette, président d'Europe et Entreprises.
Alberto Maiocchi, économiste, professeur à l'Université de Pavie.
Robert Müller, économiste, conseiller d'affaires en moyens de paiements.
Babette Nieder, historienne, ancienne secrétaire générale de l'OFAJ.
Francesco Pigozzo, docteur ès lettres.
Carolin Rüger, politologue, Université de Würzburg.