par Xavier Grosclaude , le mardi 15 mars 2011

Les événements en cours dans les pays du pourtour méditerranéen ont surpris tous les dirigeants européens par leur spontanéité et leur soudaineté. S'il est trop tôt pour évaluer l'impact global de ce mouvement de contestation, trois constats peuvent d'ores et déjà être dressés.



Premièrement, les Etats-Unis ne sont plus le centre de gravité du monde.


Contrairement à la révolution iranienne dirigée contre le « Grand Satan » américain, les soulèvements en cours dans les pays arabes s'opèrent manifestement sur une base strictement nationale, déconnectés de toute référence aux Etats-Unis.

Certains verront dans cette déconnexion une conséquence positive du discours prononcé le 4 juin 2009, au Caire, par Barack Obama. D'autres, peut-être plus critiques, analyseront cette dernière comme le signe d'un recul de l'influence américaine. Quelle que soit l'analyse retenue un constat s'impose, les Etats-Unis ne sont plus le centre de gravité du monde.

Depuis trop longtemps humiliée par des régimes gangrénés par la concussion et la corruption, la population arabe ne s'est pas égarée dans un anti-américanisme idéologique mais a œuvré avec pragmatisme pour la reconnaissance d'un droit fondamental, celui d'exister et de vivre dignement dans ses frontières en toute liberté.

En réalité, les Etats-Unis en composant avec des régimes liberticides pour préserver ses intérêts vitaux, en utilisant la force pour exporter la démocratie libérale en Irak, en tentant de négocier la paix « en solo » au Moyen-Orient, en perdant la guerre de l'information… se sont progressivement marginalisés accréditant chaque jour un peu plus l'idée selon laquelle les Etats-Unis sont devenus un acteur, certes important, mais un acteur parmi d'autres de la mondialisation.


Deuxièmement, l'économie administrée a encore failli…


A la lumière des premiers événements, force est de constater, comme en Europe centrale et orientale, que c'est la faillite de l'économie administrée qui a poussé la population dans la rue. En effet, au-delà de la nature confiscatoire des régimes en place, c'est bien la hausse du prix des denrées alimentaires et ses conséquences sur la vie quotidienne de plusieurs millions de personnes qui a provoqué la colère de peuples arabes, bafoués dans leur dignité.

Principale victime de l'incurie des pouvoirs en place, la jeunesse arabe, insécurisée dans son existence, déclassée socialement, a tout simplement souhaité reprendre son destin en main. Elle a clairement manifesté la volonté de se libérer du népotisme. L'Histoire nous dira si elle est capable de résister aux forces centrifuges du conservatisme…

A la vérité, loin d'être achevée, la marche des peuples arabes vers la démocratie ne fait que commencer. Elle sera forcement longue et tourmentée voire pour certains pays décevante. En effet, les équilibres de la vie démocratique ne se décrètent pas, ils s'établissent dans la durée et se confortent à l'épreuve des faits.

Réalisme oblige, il n'y a aujourd'hui aucune raison pour que les partisans d'un islam politique renoncent à leurs ambitions. Seule différence notable, ils devront désormais composer avec une nouvelle génération d'hommes et de femmes plus sensibles au développement de l'économie de marché et à la liberté qu'à l'instauration d'un ordre moral dérivé du Coran.

Demain, les pays arabes vont devoir, sur la base de réalités économiques et sociologiques très différentes, conjuguer ouverture sur le monde, ancrage démocratique, développement économique et définition d'une nouvelle citoyenneté. Le passage de la notion de « sujet » à celle de « citoyen » est fondamental. Il actera la rupture avec les anciens régimes.

Si le train de l'histoire s'accélère, il est difficile aujourd'hui de dire quel pays en sera la locomotive… Seule certitude, la Tunisie qui entretient une relation décomplexée avec l'Occident peut, de part sa taille (moins de onze millions d'habitants) et la conscience politique de sa jeunesse, jouer un rôle déterminant dans la consolidation du processus de démocratisation en cours dans les pays arabes.

Néanmoins, restons lucides, même en cas de réussite, il n'y aura pas de « modèle tunisien » transposable aux autres pays arabes mais seulement « une success story » adaptée aux spécificités tunisiennes.


Troisièmement, les valeurs occidentales doivent être portées par l'Union européenne.


Berceau des valeurs occidentales, l'Union européenne a pour évidente vocation d'accompagner les pays arabes sur la voie de la démocratie et du développement économique.

Déjà présente dans les pays de la méditerranée, via la Banque Européenne d'Investissement et de multiples instruments financiers, l'Union européenne doit accompagner les transitions démocratiques en cours de façon pragmatique et réaliste en évitant autant que faire se peut les errements du « modèle irakien » prisonniers de considérations ethno-confessionnelles.

Elle doit promouvoir une libéralisation politique allant de pair avec une libéralisation économique graduelle si on ne veut pas qu'elle soit politiquement contreproductive en fragilisant d'entrée les nouveaux dirigeants élus.

Quant à la question de la laïcité, chère aux français, elle ne doit pas polluer notre regard sur les évolutions en cours. D'une part, parce que la laïcité française n'a pas d'équivalent dans le monde, d'autre part parce que l'introduction de la laïcité ne saurait à elle seule être le marqueur d'une évolution significative des pays arabes.

Un pays peut tout à fait se réclamer laïc, à l'image de la Syrie, et cultiver des logiques totalitaires, arbitraires et communautaires fondées sur la soumission. Dit autrement, l'introduction de la laïcité (si elle est souhaitée ?) n'aura de sens dans les pays arabes que si elle constitue une finalité politique au service d'une nouvelle citoyenneté source de droits et de devoirs. Dans le cas contraire, il s'agira d'une simple opération cosmétique destinée à rassurer les capitales occidentales…

Quoiqu'il en soit, le « Printemps arabe » ouvre incontestablement de nouvelles perspectives pour les pays du pourtour méditerranéen mais aussi au-delà...
Outre l'obligation pour l'Union Européenne de redéfinir, à moyen terme, une politique euro-méditerranéenne adaptée aux nouveaux enjeux, la Chine ne pourra pas longtemps rester indifférente aux événements en cours. La récente mise en garde du premier ministre chinois contre les effets pervers de l'instabilité traduit de toute évidence une certaine nervosité à Pékin.

Le peuple iranien, quant à lui, est beaucoup trop fin pour ne pas avoir déjà pensé son avenir aux couleurs de la démocratie.

Dans tous les cas, l'Union européenne se doit d'être en première ligne pour promouvoir ses valeurs et les partager dans le respect des identités propres à chaque pays. C'est là son devoir. Puisse la diplomatie européenne le comprendre rapidement si on ne veut pas tourner le dos à nos valeurs et à l'Histoire…


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