par Edouard Pflimlin, le lundi 21 mars 2011

La plus grosse intervention militaire dans le monde arabe depuis l'invasion de l'Irak en 2003 a commencé samedi 19 mars en fin de journée avec des bombardements effectués par l'aviation française et des tirs de missiles par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Elle a été permis par le vote de la résolution 1973 à l'ONU vendredi. Certains analystes militaires soulignent déjà que cette campagne sera dans tous les cas difficile, et son issue incertaine. Le chef d'état-major interarmes américain, l'amiral Mike Mullen, l'a concédé. L'opération pourrait déboucher sur une impasse. Mike Mullen s'est toutefois félicité de la rapidité de la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne mais le secrétaire à la Défense Robert Gates a souligné que les Etats-Unis, qui commandent actuellement l'intervention, ne comptaient pas jour un "rôle prééminent" pour la maintenir. Reflétant la volonté de Washington de ne pas paraître trop impliqué dans l'opération, le chef du Pentagone a souhaité transférer le commandement des opérations dans les jours à venir. Il a évoqué un commandement conjoint franco-britannique ou un commandement de l'OTAN. "Je pense qu'il y a plusieurs possibilités. L'une serait un commandement britannique et français. Une autre consisterait à recourir aux structures de l'OTAN", a dit le secrétaire à la Défense américain alors qu'il se rendait en visite en Russie. Mais à Bruxelles, l'Alliance ne s'est pas mise d'accord sur son implication dans la surveillance d'une zone d'exclusion aérienne. Par ailleurs, "Paris a refusé de confier le commandement des opérations à l'OTAN : 'ce serait le meilleur moyen de cabrer les opinions arabes', a fait valoir Sarkozy (1) ".


La France et le Royaume-Uni, les deux pays qui assurent la plus grande part de l'effort de défense en Europe, ont été en pointe dans cette crise et dans l'adoption de la résolution, alors que l'Allemagne, 3e "Grand" de l'Union européenne en matière militaire, s'est marquée par son opposition à toute participation de la Bundeswehr, l'armée allemande, à l'opération et s'est abstenue lors du vote du Conseil de sécurité de l'ONU.

"Comme en 1956, lorsque la Grande-Bretagne et la France avaient lancé une opération militaire commune après la nationalisation du canal de Suez par l'Egypte, Paris et Londres sont aux avant-postes de l'intervention", souligne Le Figaro (2).

La France et le Royaume-Uni déploient d'importants moyens navals et aériens (3) et ont attiré avec les Américains plusieurs Etats européens, le Canada, et le Qatar.

C'est un succès de la coopération franco-britannique. "Menée au plus haut niveau entre l'Élysée et Downing Street, elle a beaucoup profité de tout le travail qui a été fait entre les deux pays à l'occasion de la préparation de l'accord de défense signé à Londres en novembre dernier, précise une source à l'ambassade de France à Londres. Des contacts rapprochés se sont liés à tous les niveaux entre les ministères et les états-majors des deux pays, et ont beaucoup facilité le travail sur les questions techniques qui ont dû être préparées en amont.", indiquait Le Figaro (4) samedi 19 mars.

Cette coopération a connu une forte impulsion depuis le nouveau partenariat en matière de défense et de sécurité de scellé le 2 novembre 2010 entre les deux pays.

Cet accord a prévu toute une série d'initiatives : "Il s'agira entre autres de créer une force expéditionnaire commune, de rapprocher la Royal Navy et la Marine nationale pour l'utilisation des porte-avions, de faire du soutien dans le domaine des sous-marins, de produire des drones... " (5). Un exemple très récent est justement le protocole d'accord signé entre " L'avionneur français Dassault Aviation et le groupe britannique de défense BAE Systemspour coopérer sur un drone moyenne altitude-longue endurance (MALE) qu'ils proposeront à la France et à la Grande-Bretagne, ont-ils annoncé lundi 14 mars. Les deux groupes étaient déjà en discussion à la suite des accords de défense signés entre les deux pays en novembre. Ils avaient remis une étude de faisabilité aux deux gouvernements sur un drone de surveillance MALE. Dassault, le constructeur de l'avion de combat Rafale, et BAE ont désormais signé un protocole d'accord "définissant les modalités de coopération exclusive pour la préparation et la soumission d'une proposition commune de drone MALE" aux ministères français et britannique de la Défense, indiquent-ils dans un communiqué commun.Le projet supposerait un investissement de l'ordre de 500 millions d'euros partagé à parts égales entre les deux partenaires" (6)

Mais d'autres initiatives récentes traduisent aussi ce rapprochement avec des réalisations concrètes (7) et (8).

La question qui se pose est de savoir si cette coopération va favoriser l'Europe de la défense. "La dimension européenne n'apparaît pas nettement dans ce qui est avant tout présenté comme une initiative bilatérale" souligne l'analyste de défense Claire Chick dans DSI de décembre.

On est loin de l'esprit des accords de Saint-Malo en décembre 1998. C'est plutôt le constat de l'échec de la PESD dont : "les objectifs n'ont pas été atteints et aucune opération militaire n'a été lancée", indique DSI.

Un rapport récent de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne, " La coopération militaire franco-britannique : nouveau moteur pour la défens européenne "(9) s'interroge sur les conséquences de cet accord montre bien qu'il "n'a pas l'intention de relancer ou revigorer le programme de Saint-Malo … Néanmoins il peut relancer la coopération en matière de défense européenne." Il peut notamment la favoriser parce que "Le Royaume-Uni et la France devraient découvrir une certaine quantité de meilleurs pratiques (« best practice) utiles à travers une coopération plus étroite et ainsi devenir le « gold standard » (étalon-or) pour la théorie et la pratique d'une coopération de défense plus approfondie."

Il n'est cependant pas certain que cette coopération puisse être étendue à d'autres Etats, notamment en matière d'industrie de défense.

Par ailleurs, souligne le rapport "le développement de coopération structurée permanente (permise par le Traité de Lisbonne) n'est pas vue comme une priorité en France ou au Royaume-Uni. Même si, certains croient qu'il y a du potentiel pour cette forme de coopération plus étroite quand et si la coopération franco-britannique montre des résultats." Ce qui est en tout cas certains, c'est que : "Sans la participation franco-britannique, la coopération structurée permanente a peu de chances d'avoir lieu et n'aboutirait qu'à peu de résultats."

Aussi l'auteure du rapport suggère que les deux pays encouragent et engagent le débat sur futur des coopérations structurées permanentes. Ils doivent aussi établir une « interface » entre l'Agence européenne de défense et l'OTAN (le commandement allié de la Transformation) afin de favoriser la dissémination des leçons apprises des projets de coopération et participer l'information sur les capacités de planification dans la mesure où Paris et Londres se sont engagés à discuter des futurs besoins en matière de sécurité.

Il y a dans ce domaine des progrès significatifs à faire, y compris en matière en matière de capacités civiles comme le montre la rencontre des ministres des affaires étrangères de l'UE : Les 27 ministres des Affaires étrangères, réunis le 21 mars, vont réaffirmer "l'importance du développement des capacités civiles sous la politique de défense européenne", considérée comme une « priorité ». Une manière fort diplomatique de dire que les objectifs fixés pour 2010 n'ont pas vraiment été atteints. Et que les « lacunes persistantes », déjà mentionnées dans le rapport final des « Civilian Headline Goals 2010″, n'ont toujours pas été résolues. La Haute représentante va donc être chargée de plancher pour proposer des solutions concrètes d'ici la fin 2011", indique le blog de défense spécialisé de Nicolas Gros-Verheyde.(8)

Dans ce contexte, la défense européenne peut-elle progresser ? Comme le souligne Jean-Dominique Merchet, dans l'affaire libyenne : "sur fond de désaccord franco-allemand, l'Union européenne est hors-jeu, ce qui ne surprendra que les eurobéats."

Il y aura donc beaucoup d'écueils à traverser pour retrouver une impulsion en matière de défense européenne. Mais si le « couple franco-britannique » ne le souhaite pas vraiment l'Europe de la défense restera lettre-morte.

Alain Juppé, le ministre de la défense, indiquait le 21 décembre dernier, que les pays européens "ont compris que ce traité (franco-britannique) était de nature à renforcer le potentiel de défense européen " , et les Etats-Unis "voient dans cette coopération une volonté de ne pas baisser la garde" (11).

Cette coopération pourrait être un exemple pour tous les pays de l'Union européenne. A Nicolas Sarkozy de ne pas oublier ses promesses que la France soit moteur dans le développement de l'Europe de la défense. Et non seulement un partenaire privilégié des Etats-Unis dans l'OTAN.





Sources :

(1) « Nicolas Sarkozy en 'chef de guerre' », Charles Jaigu, Le Figaro, Lundi 21 mars 2011

(2) « Les alliés s'activent pour mettre au point le dispositif militaire en Méditerranée », Isabelle Lasserre, Le Figaro, Samedi 19 – Dimanche 20 mars 2011
(3) Les moyens de l'opération « Civilian protection » en Libye en place (Maj3), Blog Bruxelles 2, le 19 mars 2011 : http://www.bruxelles2.eu/afrique/maghreb/les-moyens-de-loperation-civilian-protection-en-libye-en-place.html
(4) »L'Anglais David Cameron, premier allié des Français », Le Figaro, Samedi 19 – Dimanche 20 mars 2011
(5) « Londres et Paris à un tournant de leur histoire », Claire Chick, Défense & sécurité internationale. Décembre 2010.
(6) « Accord de coopération entre Dassault Aviation et BAE dans les drones », 14 mars 2011, AFP

(7) http://www.opex360.com/2011/03/07/un-sous-marin-nucleaire-dattaque-francais-place-sous-commandement-britannique/

(8) http://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/demarrage-de-l-exercice-franco-britannique-southern-mistral

(9) « Franco-British military cooperation: a new engine for European defence ? », Ben Jones , Occasional Paper - n°88, février 2011 , Institut d'études de sécurité de l'Union européenne http://www.iss.europa.eu/nc/fr/actualites/actualite/news/back/article/franco-british-military-cooperation-a-new-engine-for-european-defence/

(10) « Civilian Headline Goals 2010, un semi-échec. Les 27 cherchent des solutions », Nicolas Gros-Verheyde, 21 mars 2011 , http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/capacites-milit-%e2%80%93-exercices-ue/civilian-headline-goals-2010-semblent-un-semi-echec-les-27-veulent-des-solutions.html

(11) http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles2/la-cooperation-franco-britannique-renforcera-le-potentiel-de-defense-europeen


Edouard PFLIMLIN est journaliste et chercheur associé à l'IRIS 

(http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pflimlin).

Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? ».

Son dernier livre : « Le retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon » est paru en juin 2010 aux Editions Ellipses.

http://www.editions-ellipses.fr/fiche_detaille.asp?identite=734

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