par Philippe Herzog, le lundi 18 avril 2011

Confrontations Europe a toujours milité pour la cohésion de la société et l'unité de l'Europe. Elles sont encore plus impératives aujourd'hui : sans union, pas de sortie de crise. Pour y parvenir, trois conditions sont nécessaires : partager un diagnostic, rechercher le bien commun, trouver des compromis. Les efforts ne seront acceptés que si de nouvelles espérances de progrès sont créées.


La crise sociale et politique traverse de nombreux pays d'Europe. On se divise, on s'oppose, les extrêmes-droites montent. Les dirigeants politiques mettent en œuvre des politiques de rigueur, supervisées par l'Union européenne, et se soucient de leur acception sociale. Les populations en contestent le bien fondé, l'efficacité et l'esprit de justice. Un devoir de pédagogie s'impose pour prendre la mesure des causes de la crise et des problèmes à résoudre. Les dirigeants oscillent sans convaincre entre des postures de protection des populations et l'affirmation de la nécessité de leurs réformes. Les réactions manichéennes et contradictoires fleurissent.

Les comportements de la grande finance globalisée ont un effet délétère. La régulation est contournée, des bulles se forment de nouveau, l'abondance des dividendes est indécente. Michel Barnier dénonce lui-même ce qu'il appelle une "fatigue" de la régulation du côté politique(1). Le Parlement européen s'est prononcé largement en faveur d'une taxation des transactions financières, mais les résistances fusent de tous bords lorsqu'on envisage de désarmer l'économie casino ou de mettre à contribution les capitaux pour l'investissement d'intérêt mutuel. En même temps, la crise bancaire perdure dans plusieurs pays et pèse sur l'activité économique. Il faut restructurer des banques en Irlande, en Espagne, en Allemagne... mais qui doit en payer le coût ? Les populations ou les grands investisseurs financiers ?

Pour autant, la crise des finances publiques n'est pas seulement due au choc de la crise financière et au sauvetage justifié de l'économie en 2008-2009. Elle est aussi le fruit de la crise de l'État et des régimes sociaux : l'État providence a depuis longtemps été financé par la dette. Il faut stopper son envolée, or il se trouve encore en France des économistes patentés pour nier que la dette publique soit un souci. Encore faut-il que des politiques d'austérité excessives ne provoquent pas des récessions et que les investissements nécessaires pour une reprise de croissance durable ne soient pas sacrifiés. Cet immense problème ne pourra pas être résolu sans que le secteur privé soit coresponsable des investissements humains et sociaux dont dépend notre avenir.

Au niveau européen aussi, il faut inventer de nouvelles solidarités. Émettre des euro-obligations sera peut-être nécessaire pour substituer une dette commune à des dettes nationales, mais ce ne sera pas la panacée car il faudra s'entendre sur les conditions et le partage des coûts. Et mieux vaudrait que les eurobonds financent de l'investissement. Les épargnants allemands ont financé depuis longtemps des pays "périphériques", souvent pour des dépenses improductives. Il serait bien préférable que les épargnes soient canalisées à l'avenir vers des investissements humains et productifs d'intérêt mutuel.

La question des nouvelles solidarités ne doit pas être disjointe de celle de la compétitivité. Or, l'acceptation sociale et collective de l'impératif de compétitivité est des plus difficiles.

La mondialisation fait peur, pourtant le développement des échanges internationaux a toujours été un vecteur fondamental de diffusion du progrès technique et de gains de productivité, donc de progrès du niveau de vie. Bien entendu, la compétition mondiale doit être mieux régulée, mais chaque pays a un devoir de compétitivité, en ce sens qu'il doit toujours entretenir et renouveler sa capacité de produire pour répondre aux besoins intérieurs et aussi pour pouvoir exporter. On peut certes vivre avec des déficits, mais pas indéfiniment car ils doivent toujours être financés par les autres. L'euro a créé une solidarité de fait dans les années 2000 et nous n'en avons pas fait bon usage : les financements extérieurs, les capitaux abondants et à bas coût, ont souvent été improductifs. Les divergences de compétitivité entre les États membres se sont aggravées ; elles fragilisent l'Union monétaire et menacent l'Union européenne de désintégration.

Le Pacte de compétitivité proposé par l'Allemagne et la France au sommet du 11 mars, approuvé à celui du 24 mars, est donc une opportunité à saisir. Devenu Pacte pour l'euro puis Pacte pour l'euro+, il offre un grand potentiel de progrès de démocratie et d'union. L'Europe n'avancera pas sans ses nations, et quand plusieurs États membres s'obligent à réformer et à converger, c'est une bonne nouvelle. Encore faut-il que les gouvernements se tournent vers les sociétés pour qu'elles participent aux choix qui les concernent. Le Pacte est une coopération renforcée qui va permettre à chaque nation de mieux affirmer ses priorités, c'est un progrès considérable par rapport à la méthode ouverte de coordination des années 2000. En dehors des dix-sept membres de la zone euro, six nouveaux pays entrent dans le pacte, provenant du Nord comme du Sud-Est de l'Europe(2). Qui peut prétendre que vingt-trois pays sur vingt-sept n'entraînent pas l'Europe de l'avant ? Pourtant, certains les accusent au contraire de diviser. On ne peut qu'être préoccupé par les premières réactions de refus ou même par celles de ceux qui se réclament tout autant d'œuvrer à la compétitivité mais se situent entièrement dans une alternative dont la faisabilité n'est pas assurée, au lieu que leurs propositions servent à améliorer le pacte en question.

En France, le rejet du Pacte est souvent nourri par le refus d'un modèle allemand qu'il nous faudrait soi-disant adopter. Or le Pacte ne nous l'impose nullement, mais nous ferions bien de nous intéresser à la capacité qu'a l'Allemagne de bâtir une industrie compétitive. En fait, le Pacte est fondé sur un volontariat, et c'est à chacun de trouver ses solutions tout en acceptant que les modèles soient coopératifs. Le fond du problème français est que beaucoup nient encore que nous ayons à consentir des efforts en matière de compétitivité, d'innovation, et de productivité. En fait, la nostalgie de l'ancien modèle français des Trente glorieuses perdure. Certains économistes considèrent que c'est l'abandon de ce modèle qui nous nuit, et que nous devons renouer avec lui. Restauration ou transformation, tel est le débat auquel la collectivité française devrait consentir. Pour Confrontations Europe, c'est la transformation qui doit primer. Et ceci ne peut pas se faire sans bouger nos régimes sociaux et productifs. Ainsi peut-on nier ou négliger que les conservatismes et les corporatismes portent une grande responsabilité dans le vieillissement grave de nos services publics, dans l'incapacité de changer le mode de financement de la protection sociale, ou encore dans la négligence de la préparation et de l'accueil des jeunes dans la vie active ?

L'Allemagne a su restaurer sa compétitivité après l'énorme effort qu'a constitué la réunification. Mais quand elle dit ne pas vouloir payer pour les autres, alors que de fait elle est obligée d'y consentir, elle n'a pas encore compris que la coopération pour le développement des différents pays d'Europe répondrait mieux à son intérêt pour l'avenir. La Grande-Bretagne, l'Irlande, voire d'autres, s'inscrivent également dans une optique non coopérative alors que ces pays disposent de tous les avantages du marché unique. Il faudra impérativement, comme Mario Monti l'a suggéré, que les avantages du marché pour le business soient compensés par de nouvelles obligations de coopération et de solidarité. En Espagne, dans les nouveaux pays membres, ainsi qu'en Grèce ou en Irlande, des efforts courageux de réformes sont entrepris. Mais malgré les dénégations et pas seulement au Portugal, il faudra bien restructurer certaines dettes souveraines – même si ça fait hurler les créanciers. Toute cette diversité, toute cette communauté d'intérêts devra maintenant être explicitée, discutée et canalisée vers les réponses au défi fondamental des nouvelles solidarités pour une meilleure compétitivité de toutes les parties d'Europe.

Plusieurs des conclusions du sommet du 24 mars visent à exiger des membres du pacte un respect total des règles du marché unique. Certes, mais la rénovation du grand marché(3) devra être beaucoup plus équilibrée que beaucoup ne le pensent et l'esprit initial du projet doit être préservé. Nos amis britanniques veulent l'approfondissement du marché intérieur, mais en même temps exigent de garder une totale souveraineté sur leur politique économique nationale. Il faudra négocier. Hugo Shorter indique dans Interface que si la Grande-Bretagne ne s'inscrit pas dans le Pacte pour l'euro, elle soutient les efforts de ses membres et souhaite son succès !

Pour Confrontations Europe, plutôt qu'une "acceptation sociale" des réformes des gouvernements et de l'Union, il y a besoin d'appropriation de ces réformes par les sociétés, avec l'immense volonté d'information, de dialogue et de coproduction que cela suppose. Si le corps politique s'épuise dans ses divisions, jamais il ne pourra reprendre le dessus sur les forces du marché. Les réponses nouvelles doivent faire appel à la collaboration des sociétés et des institutions, à la coresponsabilité du public et du privé. Pour changer le cours des choses, il faut partager nos efforts afin de nous réunir autour de compromis historiques.

Article paru dans Confrontations Europe la Revue n°94, avril-juin 2011.

(1) Lire l'article de Jean-Paul Gauzès dans Interface de mars 2011. (2) On lira dans cette revue l'analyse de Carole Ulmer et le point de vue de Joachim Fritz-Vannahme en pages 5, 6, 7 et 8. Il faut aussi se reporter à Interface de mars 2011 avec les commentaires d'Alain Lamassoure, de Hugo Shorter pour la Grande-Bretagne et celui, fort et émouvant, du roumain Mihai Sebe. (3) Le « Single Market Act » de la Commission, mis au point après une large consultation et le vote du PE, sera lancé courant avril.


http://www.confrontations.org/

Philippe Herzog vient de sortir son dernier livre intitulé "Un tâche infinie.Fragments d'un projet politique européen" publié aux Editiond du rocher

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