Les Indignados d'Espagne et d'ailleurs, sont la preuve que de nouvelles formes d'expression sociale jaillissent aux limites de démocraties hésitant désormais à se dire ou à se vouloir "sociales". Si Metis a répercuté très vite ce qui se passait du côté de la Puerta del Sol, nous nous réservons le droit d'y réfléchir et d'y revenir une fois passés la vague des faits et le raz-de-marée des opinions en tout genre !
Notre dossier actuel se concentre sur les modèles européens d'intégration qui souffrent. Jamais la peur de l'autre ne s'est aussi bien portée, jamais la tentation du repli n'a été aussi grande. Que répondre aux forces extrêmement populistes qui entrent désormais dans la composition de nombreux parlements et de plusieurs gouvernements ?
David Cameron, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se retrouvent pour proclamer que le multiculturalisme est un échec. Incivilités, insécurités économiques et sociales, ségrégations de toutes sortes, ascenseurs sociaux défaillants : l'arbre des causes est connu de tous. Faut-il pour autant céder à la tentation du repli et de la répression ? Le sujet est compliqué. Migrations mues par la volonté de trouver ailleurs une vie plus décente, vieillissement démographique, pénuries de main d'uvre, l'immigration zéro est un leurre et les limitations drastiques conduisent simplement à renforcer l'immigration illégale aux effets pervers multiples bien connus.
Les uns veulent à l'image de la France ou du Danemark durcir les conditions d'entrée, de séjour et de travail et rétablir un équilibre entre droits et devoirs. On protégerait ainsi l'État providence. Le problème est que l'on est sans doute en train de perdre sur tous les tableaux : l'intégration à ce prix reste factice, le potentiel gâché et l'Etat providence n'a rien à y gagner. Il pourrait même y perdre tant la contribution des migrants à nos pays est forte -en termes économiques, en termes de dynamisme culturel, démographique (En France, 13% des naissances surviennent dans des couples binationaux, 8% de couples d'étrangers) ou... gastronomique. Cela fait longtemps que la France et ses voisins doivent leurs politiques de travaux publics aux migrants qui bitument nos routes et autoroutes, et posent les rails de nos TGV ? On le voit en Pologne avec les opérations liées à l'Euro 2012. Enfin, l'exemple italien des badanti, ces femmes employées dans des travaux domestiques en Italie, est éloquent : qui viendra demain rendre service au 3e et au 4e âge, pour ne pas parler du premier ? Le développement des services à la personne passe par un développement de l'immigration, mais aussi de l'intégration à tous niveaux.
Le tout-répressif, dont le bilan négatif est désormais attesté par tous les chiffres - on le voit en matière de sécurité publique comme en matière de travail illégal - nous a conduit dans l'impasse. Il renforce paradoxalement les situations illégales en ne leur offrant plus d'issues, et s'agissant du travail au noir n'inquiète pas, ceux qui y ont recours. En d'autres termes, il consolide l'illégalité et les situations infra-humaines plus qu'il ne les combat. Enfin les politiques de répression - prennent le pas sur celles, souvent fragiles et moins bien dotées, qui voulaient favoriser la cohésion et l'intégration.
L'illusion du retour
En France, le maire d'une commune de banlieue parisienne demande l'aide de l'armée ou des casques bleus pour conjurer un niveau de violence insupportable. Il est aussi le premier à convenir qu'une telle intervention qui ne serait pas accompagnée par de vrais efforts de prévention et d'intégration conduirait immanquablement à l'échec. Prétendre l'inverse ne peut relever que de la démagogie.
L'Allemagne, première destination en Europe, la Grande Bretagne, la France, l'Espagne et l'Italie ont en la matière des défis communs. Même les pays d'émigration - l'Irlande ou le Portugal hier, les pays d'Europe de l'Est aujourd'hui - se confrontent aujourd'hui à un présent et un devenir pluri-ethnique.
Alors il n'y a pas d'autre choix que de revenir et de redéfinir ce que peuvent être des politiques d'intégration, même si ce concept très français est aujourd'hui vivement débattu. En la matière, l'Europe s'est dotée d'un indice qui passe en revue de très nombreux critères culturels, linguistiques, sociaux, économiques et politiques. Le classement établi met en tête la Suède (encore une fois). Et pourtant. Les chiffres suédois du chômage comme le résultat des dernières élections avec l'entrée des populistes montrent que sous l'indice se cache une réalité bien plus nuancée. L'intégration façon années 50, 70 ou 80 n'a pas donné les résultats escomptés. Sans doute parce que nous pensions que l'intégration de tous passait par la désintégration de certains. C'est ce postulat qui est aujourd'hui en échec, bien plus que le concept d'intégration qui garde toute sa noblesse, pourvu que nous sachions le refonder au vu de l'expérience comme des défis qui sont devant nous.
L'illusion d'un retour en arrière, vers des sociétés plus homogènes, et en quelque sorte, démondialisées nous guette. Pourtant c'est ailleurs qu'il nous faut aller, sans angélisme ni naïveté. Ce sont nos mécanismes d'intégration qu'il faudrait réexaminer, réformer et transformer. Peut-on par exemple en matière de travail illégal se contenter d'une politique répressive sans penser une politique intégrative permettant de réduire une économie informelle et parfois criminelle ? Peut-on en matière de démocratie sociale et politique se satisfaire d'un décalage aussi criant entre les représentants et les représentés ? Quid des politiques de promotion sociale et quid de l'impact effectif des chartes de la diversité adoptées ces dernières années par de nombreux grands groupes ? Quid enfin de nos politiques éducatives et de l'enseignement primaire jusqu'à la formation professionnelle voire la formation syndicale ?
Edito de la lettre de Metis du 7 juuin 2011
Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.
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