Mai 2011. Nous sommes au pied du Kilimandjaro, au fin fond de la brousse africaine, au pays des Massaï, les chasseurs de lion. L'école maternelle est une case de torchis, au toit de feuilles de palmier, perdue dans la savane : chaque matin, les gamins doivent faire 2 à 3 km à pied pour l'atteindre.
Sur la poutre maîtresse de la case, figure une inscription à la craie : « Tafadhali zima simu yako ». Je me fais traduire : « Eteignez les mobiles ! » Ici ! En pleine brousse, dans une des tribus les plus anciennes d'Afrique, sans eau courante ni réseau d'électricité !
Double bonne nouvelle : même au cur d'une des zones les plus pauvres du continent africain, 80% des garçons et des filles vont à l'école, et beaucoup de leurs parents utilisent toutes les possibilités des mobiles y compris le télépaiement, qui balbutie encore chez nous ! dans leur vie quotidienne. Certes, on savait que le taux de croissance de l'Afrique dépassait allègrement les 5% depuis le début du siècle, mais on mettait ce résultat sur le compte de l'appétit insatiable de l'Asie pour les produits bruts du continent noir. L'explication vaut pour les puissances pétrolières que sont le Nigeria, l'Angola, la Guinée équatoriale ou pour le petit Botswana diamantifère, mais sensiblement moins pour le Ghana, et pas du tout pour la partie désormais la plus dynamique du continent : l'Afrique orientale, où l'Ethiopie tourne à 10% par an, tandis que le Kenya, la Tanzanie, le Mozambique dépassent les 7%. Le Mali était tristement connu pour ses famines récurrentes jusque dans les années 80 : en quelques années, il a doublé sa production de riz, dont il est devenu exportateur. En 2005, le Malawi importait près de la moitié de sa nourriture de base; cinq ans plus tard, le voilà devenu un grenier à céréales de l'Afrique australe, qui exporte la moitié de sa récolte de maïs. Un signe ne trompe pas : longtemps dédaignée par les investisseurs internationaux, l'Afrique devient une destination privilégiée des investissements de toute nature des grandes sociétés occidentales et, plus encore, des Chinois, des Indiens et des émirats pétroliers.
Le progrès politique commence à accompagner, certes trop lentement, mais irrésistiblement ce décollage économique. Si beaucoup de pays sont encore soumis à des régimes autoritaires, voire à des dynasties d'autocrates, l'Afrique du sud n'est plus le seul exemple de démocratie sur le continent. Il y a quelques années, les guerres civiles particulièrement sanglantes du Congo, du Libéria et du Sierra Leone se sont achevées par des élections libres garanties par une surveillance internationale. Si le processus électoral ordinaire n'a pas permis de clarifier la situation politique au Zimbabwe ou au Kenya, en 2008 la très courte victoire de John Atta Mills au Ghana a été immédiatement reconnue par son concurrent. Tout récemment, l'opposant historique Alpha Condé a remporté la première élection libre qu'ait connue la malheureuse Guinée depuis 1960, peu avant que Goodluck Jonathan ne s'impose au Nigeria dans la première élection présidentielle organisée honnêtement dans ce géant démographique de 150 millions d'habitants. Au Mozambique, les deux clans qui avaient prolongé la guerre de décolonisation en guerre civile se sont transformés en partis politiques exemplaires, capables d'assurer une stabilité politique qui fait du pays le chouchou des organisations internationales. De manière frappante, au Niger comme en Guinée, ce sont des généraux démocrates qui ont enlevé le pouvoir aux dictateurs locaux, non plus pour le confisquer à leur profit, mais pour le remettre à des dirigeants civils élus.
Venant après le « miracle » japonais de l'après-guerre et les petits « dragons » des années 80-90, les foudroyants succès chinois et indiens du début du siècle ont fait sortir l'Asie du « Tiers Monde ». La réussite du Brésil a étendu à l'Amérique latine le concept de puissance émergente. Le « printemps arabe » change la vision que nous avions de ce monde immobile enfermé dans ses régimes autoritaires, sa richesse pétrolière et sa tentation d'un fanatisme religieux réactionnaire. Portons notre regard un peu au-delà : il est temps de prendre conscience que c'est l'Afrique tout entière qui s'éveille à la liberté et au progrès. Or, c'est le continent qui concentre désormais la jeunesse d'un monde partout ailleurs vieillissant. Voilà une formidable opportunité pour l'Europe, si elle sait proposer à ce nouveau monde un partenariat d'un type radicalement nouveau.
Alain Lamassoure, le 8 juin 2011
Alain Lamassoure, est ancien ministre français des Affaires européennes puis du Budget, ancien membre de la Convention européenne. Actuellement député européen (Parti populaire européen, PPE), il est vice-président de la délégation française du groupe PPE et Président de la Commission des Budgets du Parlement européen.
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