par Patrick Martin-Genier, le lundi 20 juin 2011

Gordon Bajnai, jeune ancien Premier ministre hongrois, était à Paris cette semaine à l'initiative du très en vue "think tank" progressiste fondé et dirigé par Olivier Ferrand, ancien membre du cabinet de Lionel Jospin à Matignon. Il en a profité pour prodiguer quelques conseils précieux pour lutter tout à la fois contre la crise et la montée des extrêmes.


Ancien cadre issu du secteur privé, qui exerçait les fonctions de ministre des finances, M. Bajnai prit les rênes d'un gouvernement de centre-gauche en 2009 composé aux postes clés d'experts non membres d'un parti politique, avec comme mission de redresser les finances publiques de son pays. Il fut Premier ministre de 2009 à 2010 et, même s'il décida de ne pas se représenter aux élections, préférant repartir dans le secteur privé et mener en parallèle une réflexion sur la gouvernance en Europe et dans le monde, il réussit en quelques mois à faire accepter à la quasi-unanimité des réformes douloureuses. La Hongrie fut ainsi le premier pays à faire appel au FMI mais aussi le premier à endurer les affres de la montée du phénomène extrémiste, ce qu'il appelle le populisme.

Des classes moyennes en voie de "déclassification"

Pour Gordon Bajnai, il existe aujourd'hui une crise de confiance et cela prendra du temps avant que celle-ci ne revienne. Pour lui, l'un des principaux dangers de la situation actuelle, outre la précarisation encore plus grande de la frange la plus vulnérable de la société, notamment les jeunes sans emplois, c'est ce qu'il appelle "la mobilité renversée", c'est-à-dire la grande déception des classes moyens contraintes de perdre ce statut pour repasser à la catégorie inférieure. Or, pour Gordon Bajnai, ce sont "les gens déçus qui font les révolutions" et le scénario qui se produit aujourd'hui serait en quelque sorte comparable celui des années 30.

Si d'autres soucis guettent les pays d'Europe tels que le vieillissement de la population qui rendra bientôt impossible la solidarité intergénérationnelle via les retraites par répartition et prélèvement sur les salaires des actifs, mais aussi la montée du protectionnisme conduisant à un nationalisme débridé, il n'en est pas moins conscient que la réelle difficulté des gouvernements aujourd'hui est bel et bien de demander aux citoyens de "rendre l'argent" et de "changer leur niveau et mode de vie", ce qui à quoi ces derniers ne semblent pas prêts dans de nombreux pays européens. Ce qui explique les mouvements des électeurs vers les extrêmes et les réactions xénophobes.


Gordon Bajnai et Olivier Ferrand

Trouver des solutions équitables et innovantes

Or un chef de gouvernement doit aujourd'hui rendre compte de son action aussi bien devant les 26 autres chefs d'Etat et de gouvernement que devant son peuple, ce qui se révèle souvent une prouesse que ces derniers ne comprennent pas, favorisant ainsi la montée des extrêmes. Il existe une double légitimité au niveau électoral dans le cadre national et devant le collège des chefs d'Etat et de gouvernement au niveau européen.

Pour le "docteur" Bajnai, non encarté à un parti politique même s'il professe des idées progressistes, face à une telle situation, des solutions innovantes doivent être envisagées. Mais ces solutions ne sauraient s'accommoder d'une quelconque idéologie économique préconçue. Toute solution qui ne prendrait pas en compte la réalité économique serait vouée à l'échec et c'est en appréhendant la vie économique avec pragmatisme que l'on pourra trouver la solution, une d'entre elle étant nécessairement le renforcement de l'intégration européenne, comme l'épisode de la dette grecque vient de le démontrer.

Rigueur morale et respect des valeurs

En outre, deux autres éléments essentiels ont été mis en avant : l'exemplarité et la solidarité. Dans un contexte de restriction et de privation, la corruption ou la complaisance vis-à-vis de certains comportements ne peuvent plus être acceptées. L'honnêteté des dirigeants ne doit souffrir aucune exception. Arrivé au gouvernement à la suite d'un scandale de corruption, Gordon Bajnai a ainsi décidé de verser une partie de son salaire de Premier ministre à un fonds de solidarité pour les plus faibles…S'agissant de la solidarité, il est évident que plus le fardeau de la dette est équitablement partagé, plus il est accepté. Ces deux points constituent la clef d'un redressement qui de toute façon est inévitable. La gageure est donc de proposer des solutions "tangibles, compréhensibles et crédibles"…Quitte à perdre par la suite les élections mais sans perdre ses valeurs. L'essentiel en effet, selon lui, est de ne pas perdre ses idées et de ne pas courir après le populisme qui risque d'engloutir ceux qui pensent le récupérer.

Les leçons d'une courte mais intense expérience gouvernementale devraient être méditées par celles et ceux qui, au-delà les partis politiques, se reconnaissent ainsi dans cette approche constructive. Mais surtout pour la gauche social-démocrate qui aspire à prendre les commandes en 2012.


Patrick Martin-Genier est maître de conférences à Sciences-Po Paris

spécialiste des questions européennes

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