par Gilbert Mounier, le mardi 21 juin 2011

La qualité demeure la clé de l'avenir économique et politique de l'Europe.

Tout le monde accepte facilement de payer un prix 50% supérieur pour un produit qui pollue deux fois moins et dure deux fois plus longtemps. Pour autant que le fait soit connu, un tel produit sera généralement préféré à ses concurrents.

La législation exerce une influence déterminante sur le système de qualité des entreprises. Meilleure est cette législation, plus élevée est la qualité des productions qui en résultent.

Plus favorable sera la situation économique du pays qui en bénéficie.




LA QUALITE CHINESE EXPORT (CE)


Au milieu des années quatre-vingt, l'Union Européenne a adopté une nouvelle approche qui visait à harmoniser ses régulations globales, à rendre sa réglementation plus compétitive et à développer la qualité des entreprises. Le troisième objectif a été atteint dans une assez large mesure. Le premier a conduit au marché unique ; mais ce dernier reste imparfait. En ce qui concerne le second, il reste encore tout un chemin à parcourir.

Les directives fixent des exigences essentielles. Elles renvoient aux standards pour les modalités techniques de mise en oeuvre. Bien que ces exigences globales concernent surtout la sécurité, la santé et la protection de l'environnement, elles ont eu une forte influence sur l'élévation de la qualité des produits et services. L'évaluation de la conformité des produits et services aux prescriptions des directives et des standards repose à présent, pour une grande part, sur le développement de la traçabilité et de l'assurance qualité. C'est ainsi qu'on a vu naître et se développer les normes ISO-9000. Cette évolution s'est poursuivie en matière d'environnement. Elle s'étend maintenant avec le développement durable et la responsabilité sociétale.

La Chine, et les autres pays émergents, ne vendent en Europe que dans la mesure où notre Union a énoncé clairement les exigences globales et que leurs produits y répondent. Sans la politique qui a conduit au marquage CE, avec les douanes d'avant 85, la globalisation n'aurait probablement pas pris la même forme, ni la même extension que celle qui sont les siennes aujourd'hui.

Cette politique apparaît tout à fait légitime pour un marché unique, fort à l'intérieur et à l'extérieur des frontières de l'Union Européenne. Il est moins bien perçu s'il apparaît que ces régulations globales profitent plus aux entreprises des pays tiers. A tort ou à raison, ces régulations en ressortent dévaluées auprès des parties intéressées. Le déclin amorcé par l'Union européenne vis à vis des autres espaces économiques risque dès lors non seulement de se poursuivre, mais de s'accélérer.


PEUT MIEUX FAIRE


Avec la notion de bonne gouvernance, au début des années 2000, l'espoir est apparu d'améliorer la législation elle-même. La législation est un service comme un autre. Ce service doit répondre correctement aux besoins de régulation de la société civile, à court, moyen et long terme. Si ses réponses sont incorrectes, c'est le gouvernement qui en est responsable. Il en est redevable non seulement devant la nation qu'il administre et devant l'histoire. Mais aussi, et c'est un fait nouveau lié au développement des communications et des pollutions, devant ses voisins et devant toutes les autres nations de la Terre. Pensons seulement aux conséquences d'un sinistre nucléaire en Europe du point de vue de la responsabilité de l'Etat qui en serait la cause.

Avec l'expérience dont elle dispose sur le terrain des régulations globales, l'Union Européenne a acquis une place enviable dans le monde en tant que grande régulatrice. A l'intérieur de l'Europe cependant, les transpositions des régulations globales n'opèrent pas avec la qualité qu'on pourrait attendre. Certains transposent bien, d'autre mal. Pour améliorer la situation, il faudrait identifier et partager les bonnes pratiques. Cette démarche n'existe pas encore aujourd'hui.

La législation doit répondre aux besoins de manière réactive, au moment où les besoins s'expriment. Cette réactivité conditionne l'avance des entreprises européennes. La réponse doit être proportionnée – la surcharge des coûts administratifs de mise en oeuvre doit notamment être évitée. Son application doit être conforme et effective – la conformité conditionne la protection de l'environnement et la compatibilité des économies conditionne la libre circulation, de la qualité et la compétitivité des produits et services.

Dans tous ces domaines, une forte prise de conscience s'est manifestée. Peu de progrès ont à ce jour été réalisés. Particulièrement, en ce qui concerne la participation des citoyens. L'enthousiasme pour l'Europe a notablement faibli. Cependant, des projets prometteurs sont en cours.

La mesure de la non qualité des législations reste lacunaire. En témoigne le tableau d'affichage du Marché intérieur dont les protocoles et les classements ne manquent pas d'étonner. La réactivité législative est extrêmement faible en regard de besoins et du potentiel offert par les nouvelles technologies de l'informatique et de la communication. D'après le rapport publié par la Commission européenne en 2010, 55% des mesures nationales transposant les directives européennes sont en retard.

Pourtant la préparation des directives s'étale sur plusieurs années. Les délais autorisés pour la transposition dépassent presque toujours les 12 mois. De plus, le chiffre de 55% ne donne pas une image réelle des faits dans la mesure où il se contente, en l'absence d'un contrôle qualité effectif, de mesurer le fait de la notification, sans tenir compte du contenu. On sait qu'une part importante des mesures nationales notifiées par les Etats membres concerne des dispositions non conformes. Au total, il faut compter une dizaine d'années minimum pour réaliser une harmonisation, qui demeure le plus souvent imparfaite. Dix années apparaissent comme une durée brève aux vieilles administrations du continent. Pendant cette durée, qui représente pour lui plus d'un siècle, le pays émergent a deux fois le temps pour s'adapter. Pendant cette durée aussi, l'obsolescence et les surcharges de l'administration du vieux continent vont grandissantes.

Ces résultats sont très éloignés des performances du secteur privé. En réponse à une demande du marché, les délais de réalisation d'un nouveau produit sont en général bien inférieurs - infiniment inférieurs, car les nouveaux produits mis sur le marché le sont généralement en qualité totale. Face à la demande, la qualité est prise en compte par le privé dès le stade du cahier des charges. La rédaction de ce cahier est généralement acquise en l'espace de quelques mois. Le nouveau produit est fabriqué, testé, évalué puis mis sur le marché. L'ensemble du processus dure en général moins de deux ans - à moins que des problèmes réglementaires ou normatifs ne viennent freiner sa mise sur le marché. La qualité permet tellement d'économies qu'elle n'est plus contestée – comme elle le fut au début de son histoire.

Pour mesurer les progrès qui restent à accomplir, citons la pratique d'un secteur très voisin de la législation et des régulations globales : celle de la normalisation justement. L'International Standard Organisation (ISO) lance l'élaboration d'une nouvelle norme en réponse au besoin exprimé par certains secteurs ou parties prenantes qui a saisi un des membres national de l'ISO (AFNOR par exemple). Ce dernier soumet la proposition d'étude au Comité technique compétent de l'ISO. Après validation de la pertinence globale de cette proposition, le Comité technique recommande l'élaboration de la nouvelle norme. Formé d'experts représentant les producteurs, les associations de consommateurs, les universités, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, le Comité technique rédige un projet de norme. Ce projet est ensuite soumis à une enquête. Il est distribué à tous les membres de l'ISO pour commentaires et vote. Après éventuelles modifications, un nouveau vote est organisé sur le Projet final de norme internationale et, suite à une approbation, la nouvelle norme est publiée. Les échanges entre experts s'opèrent de plus en plus par voie électronique, ce qui accélère l'élaboration des normes, facilite la traçabilité et limite les coûts de déplacement. La norme ISO est ensuite traduite et reprise à l'identique par les offices nationaux de normalisation.

Selon Alan Bryden, Secrétaire Général de l'ISO, "grâce aux outils informatiques et à Internet pour organiser le travail collectif et le vote, les délais d'élaboration des normes internationales ont été réduits dans une proportion significative, et se situent à présent à une moyenne inférieure à 3 ans."

Heureusement, des projets prometteurs sont en cours afin d'atteindre des performances similaires dans le domaine de la transposition des régulations globales. Ils concernent notamment la transposition de la principale directive de l'Union Européenne : la directive sur les services.


LA NOUVELLE DONNE

Comme pour la diffusion de la qualité au début des années 1980, la première étape du changement doit être l'évaluation des coûts et des causes de non qualité. D'après les estimations de la Commission européenne, une transposition qualité de la directive sur les services permettrait de réaliser une augmentation du PNB européen comprise entre 60 et 140 milliards d'Euros. Ce chiffre faramineux se situe dans les mêmes ordres de grandeur que ceux avancés en 1985 concernant les gains que l'assurance qualité était susceptible d'apporter dans l'industrie.

Ce potentiel n'est guère connu du grand public. Les gouvernants hésitent à publier ce challenge. Parce qu'ils n'y croient pas vraiment - bien que ce soient eux les responsables de la transposition et que c'est pour une part essentielle à cause de leur faiblesse et de leur incompétence que le programme opère mal ou n'opère pas.

A cet égard, la directive sur les services renferme une nouveauté qui devrait permettre de changer la donne : l'évaluation mutuelle.

Faute de disposer des outils pour une mise en oeuvre effective et adéquate, elle n'a pas encore délivré ses fruits. La directive exige que les Etats Membres fassent un rapport sur l'implémentation de la directive. Quatre ans après l'adoption de la directive, en 2010, la Commission a publié des rapports attribués aux Etats membres et a ouvert un site Internet pour recevoir les évaluations comparatives des parties intéressées. Elle n'a reçu que 79 contributions. La plupart de ces contributions n'étaient pas des évaluations mutuelles.

Il était difficile, voire impossible, de réussir cette évaluation mutuelle dans la mesure où les outils pour la réaliser n'avaient pas été mis à la disposition des parties intéressées. Ces outils existaient déjà mais on craignait de les utiliser en raison de leur caractère novateur.

Ces premiers résultats décevants n'enlèvent rien à la valeur de l'évaluation mutuelle. Le Commissaire au marché intérieur a bien l'intention de reprendre le chantier. S'inspirant des orientations du rapport Lamassoure, il veut, grâce à l'évaluation mutuelle, lancer une nouvelle dynamique qualité plaçant le citoyen au centre du marché unique.

Le Parlement européen a décidé de prendre les mesures nécessaires pour utiliser les outils nécessaires à la réussite de ce projet. Une nouvelle évaluation est en cours. Elle doit concerner d'abord les mesures nationales de transposition horizontale de la directive dans chacun des 27 Etats membres. Elle touchera ensuite, l'évaluation de l'implémentation des mesures nationales pour toutes les activités concernées.


VOIR, EVALUER ET AGIR

La nouveauté de l'approche choisie par le Parlement réside dans la méthode et les outils utilisés. Un Tableau unique de Corrélation (TuC) a été mis sur pied. Il reprend dans une langue commune, pour chaque disposition de la directive, les mesures nationales transposées ou implémentées. Ce tableau permet de voir la corrélation de chaque disposition d'un Etat membre avec les 26 autres dispositions transposées ou implémentées.

Un Module d'évaluation Mutuelle (MeM) permet aux parties intéressées (partie prenante ou citoyen) de se connecter au site d'évaluation, de rechercher pour un Etat donné la disposition qu'il souhaite évaluer, de détecter les déviances et les bonnes pratiques en comparant cette disposition à celle des autres Etats membres.

Les nouvelles technologies de l'informatique et de la communication introduisent ainsi une nouvelle avancée pour la démocratie et les droits du citoyen. Le citoyen reçoit les moyens de noter et commenter l'action de son gouvernement. En critiquant la transposition, en valorisant les bonnes pratiques et en émettant ses propres propositions, il va contribuer à l'améliorer des lois, la qualité de l'administration et le bien être de la société.

Ces notes et ces commentaires sont ensuite publiés et diffusés aux Etats membres afin qu'ils puissent se mettre en conformité. Une boîte à outils complète, basée sur la Transposition assistée par Ordinateur (TaO), est en cours d'installation. Les Etats membres peuvent dès à présent s'abonner pour évaluer rapidement leurs transpositions avec la participation des parties prenantes, implémenter les changements nécessaires et produire tous les certificats de conformité attestant de la réalité de leurs travaux.

Les changements sont en cours. Des résultats significatifs devraient en principe être atteints d'ici janvier 2012. Une nouvelle phase s'ouvrira alors, celle du droit de qualité.



Gilbert MOUNIER est Président du Mouvement Français de la Qualité Alsace

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