Le déroulement de la crise financière laisse à penser que les marchés sont les maîtres du monde. Seraient-ils donc capables de sceller le sort des Etats en entraînant leurs faillites ? Les plans de rigueur successivement lancés par les gouvernements européens paraissent en effet de prime abord dictés par un seul et unique souci : "rassurer les marchés". Faudrait-il en conclure que le capitalisme financier et la crise qu'il a provoquée et qu'il subit, sonneraient le glas de l'Etat moderne tel qu'il est né en Europe même au XVIème siècle ?
Non, ce n'est pas exact, les marchés ne dirigent pas le monde. Ce sont les politiques qui sont aux commandes
s'ils le veulent bien. Alors que les marchés ne sont en définitive que la somme des agissements d'investisseurs, les plus souvent purs spéculateurs, à la recherche d'une rentabilité à court terme indépendante de l'économie réelle. La nervosité qu'ils manifestent aujourd'hui à travers leur extrême sensibilité aux rumeurs et la volatilité en résultant (comme on l'a vu a la faveur de la panique boursière du 10 août dernier) montrent bien que ces investisseurs sont en quête de vision à plus long terme pour fonder leurs anticipations. Or cette vision, seuls les responsables politiques sont aptes à la concrétiser.
La crise que nous vivons est donc une chance tout autant qu'un danger. Aux dirigeants et à ceux de l'Europe en particulier de saisir cette opportunité d'aller de l'avant.
Actuellement, la gouvernance économique et politique de l'Europe est, il faut le dire, entre les mains de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui pallie heureusement les atermoiements des Etats. Etant de nature fédérale, la BCE est en mesure de réagir à temps pour prendre les décisions qui s'imposent pour sauvegarder la monnaie unique. Sans l'achat par la BCE par exemple de bons du Trésor italiens et espagnols le 8 août à hauteur de 10 milliards d'euros où en serait l'eurozone ? Pour autant, la BCE n'a pas été conçue pour prendre la place des gouvernements. C'est à eux d'assumer leurs responsabilités.
Or ces responsabilités peuvent et doivent être prises au plus vite.
La rencontre entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, le 16 août à Paris, est l'occasion à ne pas manquer. D'abord parce que chacun sait que la mise en place d'outils de gouvernance économique de l'eurozone dépend essentiellement de la volonté des dirigeants allemands et français. Ensuite parce que, sans une telle gouvernance, l'euro - et donc à mon avis l'Europe seraient condamnés à plus ou moindre brève échéance.
Le couple franco-allemand a sans conteste une responsabilité historique face à la crise.
Ce sont l'Allemagne et la France qui en commun ont décidé la création de la monnaie unique par le traité de Maastricht en 1992. Ce sont les deux pays qui dix ans plus tard, en novembre 2003, ont brisé le Pacte de Stabilité et de Croissance seul outil de politique économique au soutien de l'euro - en refusant de se voir sanctionnés sur l'initiative de la Commission européenne pour déficits excessifs. Aujourd'hui en 2011, la France et l'Allemagne ont la possibilité de réparer les dommages qu'ils ont eux-mêmes alors causés en autorisant ainsi une perte de contrôle des économies de l'eurozone.
Et si Madame Merkel, lors de la rencontre du 16 août 2011 à l'Elysée, déclarait haut et fort que le coût pour l'Allemagne d'une désintégration de l'eurozone serait bien plus élevé que celui de la solidarité nécessitée par le renforcement des moyens du Fonds Européen de Stabilisation Financière ? Et si Monsieur Sarkozy, au lieu de se focaliser sur l'introduction dans la Constitution de la 5ème République d'une disposition sur la règle « d'or » de l'équilibre budgétaire, mettait en uvre concrètement et dès maintenant des mesures de retour à cet équilibre ? Et si l'un et l'autre surmontaient leur crainte de fâcher leurs électorats en s'accordant sur une véritable politique économique européenne, avec des eurobonds, une harmonisation fiscale européenne et des politiques budgétaires coordonnées ?
Alors cette rencontre marquerait un pas décisif pour l'Europe.
Elle démontrerait encore une fois que le destin du couple franco-allemand est bien de construire l'Europe sans s'ériger en directoire, mais en traçant la difficile voie de l'audace et du courage politique.
Je viens de relire le rapport sur la gouvernance économique établi en 2002 dans le cadre des travaux de la "Convention pour l'avenir de l'Europe", chargée de l'élaboration du traité constitutionnel. De par son indigence, il est l'illustration de l'impéritie des gouvernements européens quand ils ne peuvent s'appuyer sur un leadership représentatif et reconnu. La crise actuelle, la plus violente que l'Europe ait vécu depuis sa création en 1957, nous met au pied du mur.
Si le Sommet bilatéral du 16 août prochain permettait de lancer réellement l'Union économique, alors nous pourrions dire que les dirigeants allemand et français forment une alliance historique dont la vocation est de faire avancer l'Europe !
Edito du Cercle des Européens 16 août 2011
Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens
http://www.hec.fr/institut-europe
http://www.ceuropeens.org