par Patrick Martin-Genier, le lundi 10 octobre 2011

A peine passé le vote très favorable du Bundestag du 19 septembre dernier qui a, dans la liesse générale, adopté par 523 suffrages sur 608 le plan de soutien à la Grèce prévoyant notamment l'élargissement des fonctions du fonds européen de stabilisation financière, voici donc de nouveau étalées sur le tapis rouge les divergences entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel quant aux modalités de mise en oeuvre de ce plan.


Recapitaliser les banques ou non ?


La principale interrogation porte sur l'éventuelle recapitalisation des certaines grandes banques françaises. On se rappelle que le ministre de l'économie et des finances François Baroin, avait suggéré il y a une quinzaine de jours de recapitaliser au moins deux grandes banques françaises, ce que ces dernières avaient catégoriquement refusé, prétextant de bénéfices records et d'une grande solidité financière. Lors de la conférence de presse conjointe intervenue à l'issue de la rencontre entre les deux dirigeants français et allemands à Berlin dimanche, la chancelière, sans entrer dans le détail de l'accord qui aurait été conclu entre les deux dirigeants, s'est dite d'accord pour procéder à une recapitalisation des banques…


Les voies de la finance internationale sont impénétrables et il est très difficile, pour les acteurs et commentateurs de savoir où se situe exactement la vérité…Ce qui est à peu près certain est que les Françaises et les Français qui seraient les premières victimes d'une défaillance en chaîne des banques ne pardonneraient pas au Pouvoir de n'avoir pas tout mis en œuvre pour sauver " leur" banque. La ruine des épargnants et titulaires de compte conduirait probablement à des émeutes.

Il est donc de la plus grand sagesse en effet de tout mettre en œuvre pour éviter cette catastrophe ne se réalise…Il y a cependant peu de chances que cette prophétie se réalise et heureusement.

Un engagement massif dans la dette grecque

Mais on ne peut éviter de folles rumeurs lesquelles reposent cependant sur d'autres faits qui n'en sont pas moins certains. Les banques françaises sont bien plus engagées dans la dette grecque que ne le sont les banques allemandes, lesquelles ne détiennent directement ou indirectement qu'environ 12 milliards de celles-ci, ce qui fait qu'en cas de restructuration massive de cette dette, même à hauteur de 50%, les banques allemandes ne risqueraient pas de voir leur situation de notation se dégrader. Les établissements français le sont à hauteur, selon des informations variables, entre 45 et 50 milliards d'euros…

Ce qui fait que la principale divergence porte sur le rôle que l'on doit donner aujourd'hui tant aux états qu'aux banques. La méfiance règne donc non pas tant entre le président français et la chancelière allemande, qu'entre les acteurs allemands et français de façon générale.

En Allemagne on craint clairement que Nicolas Sarkozy soit trop prompt à faire intervenir les Etats voir le fonds européen qui a été substantiellement doté. On soupçonne surtout le président, à quelques mois de l'élection présidentielle, de vouloir à tout prix éviter que la notation triple A de la France soit dégradée par l'agence Moody's qui semble faire la pluie et le beau temps en Europe comme aux Etats-Unis…Une telle dégradation de la note française et des banques françaises (deux banques françaises ont pourtant déjà vu leur notation baisser) serait à coup sûr une mauvaise nouvelle pour le chef de l'Etat. Plus globalement, cela serait de nature à réduire assez nettement la crédibilité de la démarche gouvernementale de réduire le déficit des comptes et surtout de le financer…

Force est de constater que la rencontre de ce dimanche 9 octobre n'a pas permis de régler la question puisque rien de concret ne semble en être sorti, probablement parce qu'il conviendra de présenter les mesures envisagées lors du prochain conseil européen des 17 et 18 octobre, avant que le G20, qui doit se réunir à Cannes au début du mois de novembre, ne les avalise…

Deux cultures financières différentes…

En Allemagne, où rien ne semble pouvoir assombrir la solide position de ce pays et celle des banques, on fait savoir que les banques elles-mêmes doivent trouver des capitaux pour faire face à cette dette, ce qui est du domaine du possible dans ce pays.

Nous sommes ici dans deux mondes différents et la chancelière a fort à faire avec sa propre majorité plutôt libérale alors qu'en France le colbertisme a la vie dure…

Cependant en arrière-plan de cette "bataille" se cachent des enjeux encore plus importants. Il est certain que si la question de la crise grecque devait faire tâche d'huile c'est-à-dire se muer en véritable crise du système bancaire européen, c'est l'ensemble du système qui serait mis en cause, y compris les banques allemandes. La chancelière et son gouvernement ne pourraient alors plus camper sur une position dogmatique consistant à rester sur leur Aventin, lequel ne serait alors plus qu'une forteresse en voie d'être engloutie par une crise politique et la perte de confiance de l'ensemble des citoyens européens.

Nous serions face à une situation d'autant plus critique que les banques rechignent de plus en plus à prendre des risques tant vis-à-vis des entreprises que des particuliers, contribuant ainsi au marasme économique. Comme d'habitude les pronostics de croissance ne sont pas au rendez-vous et il faut toujours réviser les perspectives de croissance à la baisse

Vers un fédéralisme économique et financier ?

En outre, ce qui se passe aujourd'hui démontre, s'il en était besoin, la nécessité d'aller encore plus loin sur la voie de l'intégration économique. Comme l'a proposé récemment tant la Commission européenne que le Cercle des Européens de Noëlle Lenoir, ancienne ministre des Affaires européennes, il est temps de passer à une étape supplémentaire sur la voie de l'intégration économique et fiscale.

Il est même possible de dire plus : la voie est prête pour un fédéralisme économique et financier, qui ne serait que l'aboutissement de la démarche qui a commencé avec le marché unique et a continué avec la création de la banque centrale européenne et l'euro.

Les Etats aujourd'hui n'ont plus la capacité ni les moyens de réguler seuls la vie financière et économique. Seul un vrai gouvernement économique européen peut espérer être efficace. Il s'agit donc aujourd'hui de s'interroger quand réaliser ce saut qualitatif et de quelle manière.

Ce sera probablement le débat essentiel dans les mois qui viennent et que le prochain président, quel que soit son parti politique, devra traiter en urgence avec l'Allemagne et les pays membres de la zone euro.

Le président de la République a d'ailleurs annoncé dimanche soir à Berlin qu'une proposition de révision des traités serait faite aux autres pays de l'Union européenne afin de renforcer l'intégration de la zone euro. Angela Merkel, quant à elle, a parlé de faire peser des contraintes plus importantes sur les pays de la zone euro. On sent une sorte de convergence de vues faute d'établir un accord en bonne et due forme que les deux pays ne sont probablement pas en l'état de faire adopter à eux seuls…

Quelles institutions européennes ?

Pour l'heure, la bataille vient de commencer entre Herman van Rompuy, le président permanent du conseil européen, qualifié de façon quelque peu mesquine de "mister Nobody", qui tisse sa toile à une allure impressionnante et qui se verrait bien au final devenir le seul et véritable chef d'un nouvel Etat fédéral…alors que si les chefs d'Etat et de gouvernement le soutiennent aujourd'hui dans cette nouvelle répartition des pouvoirs, ce serait plutôt pour en faire une sorte de président du conseil de la IV° République ou président de la République fédérale d'Allemagne, une sorte de personnage falot programmé pour dire "ja" à Angela Merkel et "oui" à Nicolas Sarkozy quand ces derniers le lui demandent.

Néanmoins, dans l'Histoire, les faiseurs de roi ont très souvent été déçus de l'ingratitude de leur protégé et tout pourrait ne pas se passer comme prévu.

Surtout que José-Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, vient de se réveiller en prononçant le 28 septembre dernier à Strasbourg un discours sur l'état de l'Union européenne. Entouré d'une flopée de conseillers et d'attachés de presse, le président de la commission arrivé tout sourire à Strasbourg, s'est clairement dans le grand débat actuel et a clairement fait connaître son opposition à toute forme de modification des pouvoirs qui consisterait réduire encore plus le rôle de la Commission…Il était temps en effet que M. Barroso fasse entendre sa voix puisque l'on croyait que la Commission avait sombré corps et âme…

Dans le débat sur la crise de la dette, la commission a fait savoir, ce vendredi, qu'elle allait présenter dans les prochains jours une proposition de recapitalisation des banques dans l'Union européenne qui devrait être sur la table du conseil européen qui se réunira les 17 et 18 octobre prochains à Bruxelles. Il sera donc intéressant de voir qui de Nicolas Sarkozy, d'Angela Merkel, d'Herman van Rompuy ou de José-Manuel Barroso, aura réussi à faire prévaloir son point de vue…Il n'est pas sûr d'ailleurs, vu les propos tenus devant le Parlement européen par le président de la Commission que celui-ci accepte facilement les propositions de révision des traités qui reviendraient à réduire le rôle de cette institution au sein de l'Union européenne. Il faudra donc traiter les sujets les uns derrière les autres

Le mieux serait que tout le monde se mettre d'accord sur le sujet du moment, et que le débat sur la future gouvernance ne commence qu'après…. Car il y a en effet urgence et tous les acteurs sans exception ont besoin de lisibilité.


Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, spécialiste des questions européennes.

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