par Edouard Pflimlin, le vendredi 12 mars 2010

Après des mois de tractations, les pays clients de l'avion de transport militaire européen A400M et EADS sont parvenus vendredi 5 mars à un accord formel pour financer ce projet très coûteux, selon lequel les Etats paieront 3,5 milliards d'euros supplémentaires au groupe européen. Le programme A400M avait été lancé en 2003 par sept pays membres de l'Otan (Allemagne, France, Espagne, Grande-Bretagne, Belgique, Luxembourg et Turquie) qui avaient alors commandé 180 appareils pour 20 milliards d'euros. A cause des retards dus à des problèmes techniques notamment, le programme a failli être abandonné et son coût final sera supérieur à 27 milliards d'euros. Cet appareil, dont le premier vol d'essai a eu lieu le 11 décembre, avec deux ans de retard, à Séville (Espagne) où l'usine d'assemblage final est implantée, doit permettre aux armées de l'air européennes de renouveler leurs flottes d'avions de transport souvent vieillissantes. Il semble maintenant sur la bonne voie et marquera une des avancées de l'Europe de la défense.


C'est une bonne nouvelle pour l'Europe de la défense : vendredi 5 mars 2010 les pays clients de l'avion de transport militaire européen se sont enfin mis d'accord pour prendre en charge une grande partie des surcoûts de l'avion de transport militaire européen A400M. Cette décision positive deux mois et demi après le premier vol inaugural, le 11 décembre 2009 à Séville, de l'avion réalisé par Airbus, filiale du groupe d'aéronautique et de défense EADS, laisse espérer que, dans ce domaine aussi, le pire de la crise est passé. Le ministre de la défense français Hervé Morin a annoncé que le "nouveau contrat" sur l'avion de transport militaire A400M sera définitivement scellé "pour le mois de juin" et "probablement avant". "L'accord précisant les modifications apportées au contrat va être signé dans les tous prochains jours par l'Occar (Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, représentant les Etats partenaires du programme) et Airbus Military", a-t-il précisé, prévoyant "ensuite une période de un ou deux mois pour finaliser l'avenant au contrat".

Pourtant il y a un peu plus d'un an, le 29 mars, Thomas Enders, président d'Airbus, reconnaissait qu'Airbus "n'était pas en mesure de construire l'avion » et "qu'il vaudrait mieux annuler le programme plutôt que de s'enfoncer dans les difficultés."

Nombreux prédisaient alors la fin d'une grande ambition européenne née du constat des déficiences de l'Europe en matière de transport aérien stratégique, problème rendu d'autant plus crucial que les Européens avaient décidé de mettre en place au début des années 2000 une force de réaction rapide de plus de 60 000 hommes, censée être déployable à partir de 2003.
Face à ces besoins, le constat était que les quelque 150 avions Transall conçus dans les années 1960 étaient condamné à disparaître, notamment en France.

Mais l'idée même d'un nouvel avion de transport militaire européen remonte aux années 1980. A partir de 1991 sept Etats, dont la France, créent le European Outline Staff Target qui deviendra en mars 1996 l'ESR (European Staff Requirement), véritable cahier des charges de l'avion de transport futur, l'ATF ou FLA (Future Large Aircraft. En janvier 1999, Airbus Military Company, ancien nom d'AMSL (Airbus Military Sociedad Limitada), répond à l'appel d'offre face à l'Antonov An-70, le C130J de Lockheed-Martin, le C17 de Boeing.

En juillet 2000, les nations européennes désignent officiellement l'A400M comme gagnant. Le contrat est signé en septembre 2001 puis ratifié le 27 mai 2003 après que les nations eurent finalisé leur nombre de commandes respectif. L'Italie se retire ainsi du projet au profit d'appareils C-130J et du plus léger C-27J, le Luxembourg en revanche se joint aux partenaires.

Le 27 mai 2003, les sept pays restants (Allemagne, France, Espagne, Royaume-Uni, Turquie, Belgique, Luxembourg) s'engagent à commander 180 exemplaires et le programme est officiellement lancé.

Retards et problèmes techniques

Mais le programme va ensuite accumuler les retards à cause de problèmes techniques nombreux et en raison de sa complexité.

"Pour l'emporter face aux C17 de Boeing et au C130J Hercules de Lockheed Martin, Airbus a proposé un projet ambitieux, à un prix nettement moins élevé que ses concurrents américains, deux fois moins coûteux par exemple que le C130. De plus l'avionneur s'est engagé à le réaliser dans des délais très courts, à peine six ans et demi, pour répondre aux demandes des pays. Or, le délai normal pour un programme militaire est de dix à quinze ans. Le calendrier n'a pas été tenu : les premières livraisons attendues en 2010 sont décalées à début 2013 ".(1)

Plusieurs problèmes ont été rencontrés :

Les principaux ont concerné les moteurs à hélice – quatre turbopropulseurs de 11 000 chevaux chacun, les plus puissants du monde occidental – qui ont été conçus spécialement pour lui. Les opérateurs européens ont peiné à réaliser par eux-mêmes le système de régulation électronique des moteurs. La volonté d'autonomie technologique a été un frein à un développement plus rapide. C'est peut-être aussi le prix de l'indépendance ?

La masse de l'appareil a aussi été un problème : l'A400M souffre d'une surcharge de 12 tonnes par rapport au cahier des charges.

A la complexité technologique se sont ajoutées des difficultés industrielles chez Airbus Military, rappelant celles rencontrées pour l'A380. Tous ces déboires ont entraîné des retards et provoqué le mécontentement des clients.
Mais les obstacles financiers ont donc finalement été levés. Les premiers appareils seront cependant livrés avec près de 4 ans de retard à partir de 2013 mais ils répondent aux besoins européens.

Une réponse à des besoins

Comme l'indiquait un rapport d'information du Sénat de février 2009 (2) l'A400M est un avion de transport polyvalent : "il pourra effectuer des « posés d'assaut » sur pistes sommaires avec à son bord un blindé léger. Il transportera des charges très loin, très vite, en empruntant des routes aériennes civiles. Il sera ravitaillable et ravitailleur en vol pour les hélicoptères. Enfin, il sera capable d'évoluer à basse altitude au plus près des zones hostiles ."

Quelques chiffres que donnait Jacques Isnard dans le Monde du 20 décembre 2001 montrent ses possibilités : "L'Airbus militaire est un quadriturbopropulseur capable de satisfaire, avec un parc de 50 avions, le besoin de la France d'expédier environ 1 600 combattants, avec les véhicules et les hélicoptères associés à la mission, à quelque 5 500 kilomètres de distance en moins de soixante-douze heures ".

Quelles leçons en tirer ?

C'est donc un indéniable succès de l'Europe de la défense car il montre, malgré les difficultés, que les Etats européens peuvent coopérer sur de grands projets militaires et aussi parce qu'il permet un développement des capacités militaires de l'Union européenne et répond à la montée en puissance de la PESD. Le 10 novembre 2008, les ministres de la défense de l'Union européenne ont d'ailleurs décidé de la création d'une Flotte européenne de transport aérien (FETA) (regroupant 12 pays sur 27 sous l'autorité de l'Agence européenne de défense) ainsi que d'une unité multinationale de 118 A400M (regroupant l'Allemagne, la Belgique, la France et le Luxembourg). Et au conseil informel de Palma-de-Majorque (24 et 25 février 2010), les ministres de la défense de quatre pays ont décidé une nouvelle étape pour maximiser l'emploi des moyens aériens qui se raréfient. Cependant pendant quelques années les A400M seront livrés au compte-gouttes. On prévoit qu'une quarantaine d'exemplaires seront livrés après 2020. "Si tout va bien, l'armée de l'air devrait disposer dans sept ou huit ans de son premier escadron de transport véritablement opérationnel avec des avions correspondant à la commande initial" souligne Jean-Dominique Merchet (3). Entre temps, il faudra trouver d'autres solutions pour assurer le transport stratégique européen et français dans de bonnes conditions. Des mesures palliatives sont déjà décidées en France comme la prolongation des Transall de 2015 à 2018.

Malgré les surcoûts considérables, le programme A400M a aussi des retombées économiques importantes. Comme l'indiquait en janvier dans Le Monde du 13 janvier 2010, Louis Gallois, président d'EADS, ce programme a de grandes implications économiques. Il "mobilise déjà près de 10000 personnes et devrait créer 40 000 emplois en Europe". "L'avion vole, ses performances sont remarquables, son prix – même réévalué – est très compétitif et il a un fort potentiel à l'export". La Malaisie l'a déjà commandé mais l'Afrique du Sud y a finalement renoncé.

Il reste que, pour que d'autres projets aussi importants puissent à l'avenir aboutir, des améliorations sont nécessaires. Tous les problèmes ne sont pas réglés (4) et "l'Airbus A400M n'en a peut-être pas fini avec les rebondissements(5) "; il faudra notamment à l'avenir assurer une meilleure gouvernance du projet : l'absence de pays leader a pesé sur la bonne marche de ce programme. Pour que d'autres projets aboutissent dans les temps et que les coûts ne dérivent pas trop, il faudra au minimum une meilleure coordination des intervenants. Une nécessité que l'on retrouve dans tous les domaines de la construction européenne.



1- « Après deux ans de retard, l'avion militaire A400M décolle enfin », Dominique Gallois, Le Monde, 11 décembre 2009
2- L'Airbus militaire A400M sur le « chemin critique » de l'Europe de la défense. Rapport d'information de MM. Jacques Gautier et Jean-Pierre Masseret, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Commission des finances, Mardi 10 février 2009.
3-« A400M : il a volé à 10 h 16 ! », Jean-Dominique Merchet, blog Secret défense, 11 décembre 2009, http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2009/12/la400m-doit-voler-ce-matin-%C3%A0-10-heures.html

4-Lire notamment « Les surcoûts de l'A400M en 16 questions. Tous les problèmes enfin réglés ? », Laurent Simon Europe Agenda 2010, lundi 8 mars 2010 : http://europeagenda2010.free.fr/article.php3?id_article=201&var_recherche=A400M

5- Lire « L'A400M sort du tunnel : termes de l'accord et « nuages » futurs ; Nicolas Gros-Verheyde, Bruxelles 2, 8 mars 2010 http://bruxelles2.over-blog.com/article-a400m-sort-du-tunnel-termes-de-l-accord-et-nuages-futurs-46260020.html


Edouard Pflimlin est journaliste au Monde.fr.et chargé de cours à l'université de Nanterre et à l'université Paris IV – Sorbonne.
Il est, notamment, l'auteur de : Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? Fondation Robert Schuman, 2006.


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