par Krzysztof Kohlmünzer, le mardi 27 avril 2010

La Pologne a connu ces derniers jours une grande tragédie nationale. Le président en exercice Lech Kaczynski, son épouse ainsi que de nombreuses personnalités de l'Etat polonais ont trouvé la mort dans un accident d'avion en se rendant aux cérémonies de commémoration du 70 anniversaire de massacre de Katyn près de Smolensk en Russie.


Katyn n'est pas une destination comme une autre. L'affaire de Katyn nous renvoie aux temps sombres du XXème siècle. Le 17 septembre 1939, la partie orientale de la Pologne a été envahie par l'Armée rouge sans aucune déclaration de guerre mettant en œuvre le plan de partage du pays prévu dans les clauses sécrètes du pacte germano-soviétique de l'été 1939.

Ce coup imprévu infligé aux arrières de l'armée polonaise qui engageait ses dernières forces pour résister à l'agression allemande s'est soldé par l'arrestation massive des officiers et des réservistes qui se trouvaient dans les territoires occupés par les Soviétiques comme prisonniers de guerre non déclarés.

La plupart d'entre eux ont été internés dans plusieurs camps de détention, soumis à des interrogatoires forcées et aux tentatives de ‘rééducation' intensive par la propagande politique. Ensuite plus de 20 000 d'entre eux ont été brutalement assassinés dans la forêt de Katyn au printemps 1940 par les services spéciaux du NKVD sur la décision express de Staline et du Politburo.

Cet acte de terreur de masse a été perpétré de façon particulièrement odieuse, car les victimes furent exécutées par une balle dans la tête, puis jetées dans des fosses communes, sans aucune forme de procès en violation totale des principes du droit international et de la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre.

La responsabilité de ce crime a été pendant très longuement camouflée par la propagande soviétique s'efforçant par tous les moyens de rejeter la faute sur les Allemands. L'intégralité des documents relatifs au crime a été tenue ultra secret. Ce camouflage de la réalité historique n'aurait pas été possible sans la complicité de certains gouvernements occidentaux qui pour les considérations de realpolitik ont préféré passer ce dossier sous silence pendant tout la durée de la guerre froide, et ceci malgré la possession de documents irréfutables sur la culpabilité soviétique.

C'est une des raisons pour lesquelles le massacre de Katyn est resté un des événements de la 2nde Guerre mondiale le plus longtemps refoulé dans la conscience européenne et par conséquent très peu connue par l'opinion publique occidentale. C'est également la raison d'un sentiment d'amertume et d'abandon par des alliés de la part des familles de victimes et des nombreux Polonais qui réduits au silence pour des raisons politiques évidentes pendant la période communiste, n'ont jamais cessé de cultiver la mémoire des victimes et de revendiquer la reconnaissance de la vérité.

Il a fallu attendre 1990 pour interrompre cette conjuration de silence et du mensonge. Suite aux effets de la perestroïka, puis la chute de l'Union soviétique, les archives de Moscou furent partiellement ouvertes et une commission d'enquête mise en place. La reconnaissance politique officielle du massacre n'a pour autant pas tout réglé, surtout sur le plan juridique, et de nombreuses zones d'ombre persistent jusqu'aujourd'hui: la totalité des documents résidant dans les archives de Moscou n'a pas encore été rendue public, l'enquête menée par les autorités russes pendant 14 ans a été classée sans donner lieu à aucun acte d'accusation ou une reconnaissance explicite du caractère génocidaire des faits. Nous sommes donc face à un problème toujours d'actualité qui fait obstacle à la réconciliation polono-russe, malgré un travail remarquable mené sur ce plan par l'association russe Mémorial.


Dans une perspective européenne, l'affaire de Katyn remet en cause certaines idées présentes dans l'historiographie européenne où la réflexion sur ce fait majeur trouve finalement très peu de place. Cela nous incite particulièrement à approfondir la définition du concept de totalitarisme et de nous interroger sur la nature et la spécificité du système soviétique dans son ensemble. Katyn nous rappelle aussi la nécessité d'affirmer la prédominance des droits de l'homme comme fondement du droit international.

Selon Victor Zaslavsky, historien et auteur de l'ouvrage de référence intitulé "le massacre de Katyn" *, ce dernier peut être légitimement considéré comme l'exemple emblématique de "génocide de classe" visant dans ce cas précis l'extermination des élites polonaises jugées trop réactionnaires par le régime stalinien. Ainsi la Pologne, déjà victime de la barbarie nazie, fut privée pour longtemps d'une grande partie de ces élites. Il n'est guerre étonnant que le souvenir de Katyn reste très vivace dans la mémoire collective polonaise et revêt une charge symbolique et émotionnelle très forte.


Après la catastrophe survenue exactement 70 ans après le massacre, la même interrogation revient inévitablement à l'esprit des Polonais : pourquoi une nouvelle tragédie dans un tel lieu qui symbolise déjà un autre drame pour le pays ? Nous n'aurons jamais une réponse définitive à cette question douloureuse. Mais il est désormais certain que le choc d'une telle ampleur aura des répercussions sur la vie politique polonaise et sur la place de Katyn dans l'inconscient collectif.


Tous les messages de soutien qui se sont exprimés depuis la catastrophe, particulièrement en Russie, mais aussi un peu partout dans le monde, ont été très appréciés pour les Polonais pendant cette épreuve difficile. Cependant, le meilleur hommage qu'il puisse être rendu à toutes les victimes de Katyn, celles de 1940 et celles de la catastrophe survenu 70 ans après serait, à mon avis, la diffusion, comme sur une chaine publique à l'heure de grande écoute du film "Katyn" d'Andrzej Wajda, comme ce fut le cas, fait sans précédent, en Russie. Cette œuvre poignante du cinéaste polonais, qui a lui-même perdu son père à Katyn permettrait aux millions de téléspectateurs une meilleure connaissance d'un moment clé de l'histoire polonaise et aussi de toute cette partie de l'Europe. Par sa dimension historique et éducative une telle initiative apporterait une contribution importante pour une meilleure compréhension mutuelle tout en donnant le véritable sens au mot ‘solidarité' dont l'Europe a tant besoin aujourd'hui pour retrouver son souffle, quelque soient nos opinions sur l'action politique du président défunt.


* Victor Zaslavsky : ‘Le Massacre de Katyn ‘, Editions Perrin - 2007


Krzysztof Kohlmünzer est le président de l'Association Euroconcept. De par sa double culture franco-polonaise, son expérience professionnelle au niveau international et surtout son engagement en faveur de l'Europe, il souhaite apporter sa contribution à la problématique de la construction européenne suite au grand élargissement de l'Union européenne à l'Est tout en militant pour une meilleure connaissance mutuelle et le rapprochement entre les citoyens. 

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