Malgré la crise économique, les dépenses militaires mondiales ont atteint de nouveaux records en 2009, selon un rapport(*) publié mercredi 2 juin par l'Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri).
Au cours de l'année écoulée, le monde a consacré 1 531 milliards de dollars (1 244 milliards d'euros) au secteur militaire, soit à prix constant une augmentation de 5,9 % par rapport à 2008 et de 49 % par rapport à 2000.
L'Institut a constaté une hausse des dépenses militaires dans 65 % des pays pour lesquels il a pu se procurer des chiffres.
Les Etats-Unis, toujours largement les premiers en termes de dépenses militaires, ont investi 661 milliards dans ce secteur l'an dernier, soit 47 milliards de plus qu'en 2008. L'augmentation américaine représente plus de la moitié (54 %) de la progression planétaire, souligne le Sipri.
Viennent ensuite la Chine populaire avec une estimation de 100 milliards de dollars de dépenses militaires et
la France avec 63,9 milliards de dollars.
"Les chiffres démontrent que les grandes ou moyennes puissances, comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde et le Brésil, les dépenses militaires constituent un choix stratégique à long terme auquel ils s'attachent même en période de difficultés économiques", selon le responsable au Sipri de la recherche sur les dépenses militaires, Sam Perlo-Freeman.
Or, alors que certains veulent promouvoir une Europe puissance ou que d'autres veulent au minimum une plus grande affirmation du "Vieux continent" sur la scène internationale, qu'en est-il des dépenses de défense européennes ?
Celles-ci ont atteint 326 milliards de dollars pour l'Europe de l'Ouest et centrale, chiffre qui monte à 386 milliards de dollars si l'on intègre l'Europe de l'Est avec la Russie notamment.
On constate que l'écart avec les Américains est considérable : en effet les dépenses de ce qui couvre en gros l'Union européenne représentent seulement moins de la moitié des dépenses américaines (49,3 % précisément). Ce qui est plus grave c'est que l'écart c'est beaucoup accru. En 2000, les dépenses de l'Union européenne représentaient encore 88 % des dépenses américaines.
En effet, les dépenses des Etats-Unis ont augmenté de 75,8 % entre 2000 et 2009, contre seulement 6,7 % pour l'Europe de l'Ouest et centrale !
Facteur aggravant, seuls quelques pays font un effort - relativement - important en matière de défense en Europe : la France et le Royaume-Uni qui dépensent respectivement 2,3 % et 2,5 % de leur PIB dans la défense (en 2008). Ils ont vu leur budget militaire augmenter de respectivement 7,4 % et 28,1 % entre 2000 et 2009.
Mais les autres pays phares de l'UE que sont l'Allemagne et l'Italie ont vu leur budget militaire diminuer de respectivement 6,7 % et 13,3 % entre 2000 et 2009 ! Et leurs dépenses militaires ne représentent que 1,3 % et 1,7 % du PIB, au-dessous de la "norme" minimale OTAN (2 %).
Derrière très loin est l'Espagne avec un budget de 18,3 milliards de dollars en hausse de 34,4 % entre 2000 et 2009.
Donc l'effort de défense est très concentré en Europe. Et encore il est modeste par rapport à celui des Américains si l'on calcule les dépense militaires par habitant : elles sont de 2100 dollars aux Etats-Unis contre 1026 en France, 946 au Royaume-Uni et seulement 555 en Allemagne !
Il est clair qu'avec de tels niveaux, on est loin de pouvoir répondre aux ambitions politico-stratégiques pour l'Europe.
On pourrait considérer que ceci n'est pas gênant. Comme le dit le rapport "le fait que la dépense militaire américaine continue d'augmenter alors même que d'autres domaines sont réduits suggère une choix stratégique clair : le but fondamental d'assurer une domination continue des Etats-Unis sur tout le spectre des capacités militaires, pour à la fois la guerre conventionnelle et asymétrique n'a pas changé". Mais comme après tout les Américains sont nos alliés
Le problème est que l'administration Obama ne change pas la tendance de fond : le budget militaire devrait atteindre 739 milliards de dollars en 2011 ! Certes il y a des raisons opérationnelles, surtout la guerre en Afghanistan, mais il y a aussi de nombreux programmes qui sont développés comme par exemple les drones ou la cyberguerre.
Il y a donc bien le risque que l'Europe soit de plus en plus à la traîne des Etats-Unis dans nombre de domaines vitaux pour l'avenir de ses armées et pour ses capacités opérationnelles offensives et défensives.
Et cela d'autant que plusieurs zones géographiques connaissent une forte hausse des dépenses militaires. Par zone géographique, c'est l'Asie-Océanie qui a le plus augmenté ses dépenses avec une hausse de 8,9 % en 2009. Et + 67 % entre 2000 et 2009 surtout à cause de la Chine dont le budget a augmenté de 217 % sur la période. Or, on ne sait pas comment va évoluer la Chine, quelles seront ses ambitions mondiales dans l'avenir ? Sera-t-elle un jour une menace sur nos voies d'approvisionnement énergétiques ?
Plus proche de nous, les dépenses militaires ont augmenté de 40 % entre 2000 et 2009 au Moyen-Orient. Or la zone est éminemment instable comme le montrent les événements récents au large de Gaza, et comme le rappellent périodiquement les avancées du programme nucléaire iranien
Sans oublier, pour ce qui est de l'Europe orientale, de la Russie dont les dépenses ont augmenté de 105 % entre 2000 et 2009. Or ce pays n'est pas un modèle de stabilité et de démocratie.
Certes l'Europe de l'Ouest n'est pas obligée de suivre la croissance exponentielle américaine, certes elle traverse une crise budgétaire extrêmement grave. Mais elle ne peut continuer à négliger sa défense, qui est un des moyens d'affirmer ses intérêts et de défendre son mode de vie et sa culture dans une planète instable.
* Résumé du rapport :
http://www.sipri.org/media/pressreleases/pressreleasetranslations/storypackage_milex
Edouard Pflimlin est journaliste. Il est, notamment, l'auteur d'une note de la Fondation Schuman, « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? », 2006 .