La « patrie des droits de l'homme » a dû s'expliquer, mardi 31 août, devant la Commission européenne sa politique controversée d'expulsions de Roms dans leurs pays d'origine, notamment la Roumanie. Le secrétaire d'Etat aux affaires européennes Pierre Lellouche et le ministre de l'immigration Eric Besson ont affirmé que ces renvois respectaient "scrupuleusement" le droit européen. La France "ne stigmatise personne" et "aucune expulsion collective n'a été mise en oeuvre", a dit M. Lellouche à l'issue de la réunion avec les commissaires européennes chargées de la Justice et des affaires intérieures, Viviane Reding et Cecilia Malmström.
Sans jamais critiquer explicitement la politique française, Bruxelles a invité plusieurs fois Paris à respecter les règles européennes sur la liberté de circulation et la liberté d'établissement dans l'Union (1). Sur le premier volet, Eric Besson a salué le "formidable acquis" que représente, selon lui, le droit à la libre circulation en Europe des 500 millions de citoyens européens. Mais il a également ajouté que ce droit n'était "pas inconditionnel". "Cette liberté ne peut servir de prétexte à des activités illicites, en particulier le trafic d'êtres humains", a-t-il dit.
Concernant le droit de séjour des citoyens européens dans le pays de l'Union de leur choix, M. Besson a insisté sur la "responsabilité propre de chaque Etat de l'UE pour l'intégration sociale et économique de ses ressortissants", semblant indiquer implicitement que la question de l'intégration des Roms était d'abord une affaire concernant essentiellement la Roumanie. Ce n'est pas l'avis de la Commission. "Les Roms sont des citoyens européens, ils ont les mêmes droits que tout le monde. L'intégration des Roms, c'est partout en Europe, les pays d'origine, les pays d'accueil, nous parlons de tous les Etats membres. Il faut une intégration complète dans chaque Etat membre", a dit, juste avant la réunion, le porte-parole de Mme Reding, Matthew Newman.
Les Etats membres n'appliquent pas dans ce domaine loin de là la même politique vis-à-vis des Roms. Tour d'horizon succinct des politiques menées dans les pays où la communauté est importante.
ETATS FACE AUX ROMS : DES REPONSES VARIEES DANS L'UE (2)
Face à la question des Roms d'Europe centrale ou des gitans, les réponses des pays européens sont diverses, allant de la fermeté à des politiques favorisant l'intégration.
- Europe orientale :
En Hongrie : les estimations varient entre 500.000 et 600.000 Roms (sur 10 millions d'habitants). Le gouvernement avait décidé en 2009 de multiplier par trois le budget prévu pour supprimer les bidonvilles des Roms, les reloger et favoriser leur intégration dans la fonction publique. Mais, avec la crise économique, Budapest a révisé ses plans et réduit les embauches prévues. En 2009, 40% des jeunes Roms hongrois n'avaient pas achevé l'enseignement primaire.
En Bulgarie : avec 800 000, c'est la deuxième communauté la plus importante d'Europe. Les Roms sont perçus en Bulgarie comme un "corps étranger" avec lequel tout projet de vivre-ensemble semble impossible pour la majorité des Bulgares. Les Roms de Bulgarie continuent de souffrir de ségrégation tant au niveau scolaire que dans le monde du travail, s'alarme la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri), un organe du Conseil de l'Europe. Le taux d'analphabétisme reste en élevé dans cette populatio. Le taux de chômage y "serait de 70 à 80%" ajoute l'Ecri
En Roumanie : C'est la communauté la plus importante d'Europe avec 2,4 millions de Roms. Dans son second rapport, l'ECRI soulignait que la communauté rom était, en Roumanie, particulièrement vulnérable à la discrimination et défavorisée dans de nombreux aspects de la vie quotidienne.
Dans un rapport, l'ECRI constatait que dans le domaine de l'emploi, la communauté rom était, une fois de plus, la minorité la plus désavantagée. L'ECRI constate que de membres de la minorité rom vivent encore dans des logements insalubres, ce qui est la plupart du temps le résultat de mesures discriminatoires de la part des autorités locales. De plus, certaines autorités locales continuent d'expulser des Roms de leurs logements sans respecter la procédure juridique à cette fin. Notons aussi que la communauté Rom est très largement sous-estimée par les autorités. Selon les résultats du recensement qui a eu lieu en 2002, environ 530 000 personnes ont indiqué appartenir à la minorité rom. Un chiffre très en deçà de la réalité.
- Europe du Sud :
En Espagne, le gouvernement a adopté en avril un "Plan d'action pour le développement de la population gitane 2010-2012", doté d'un budget de 107 millions d'euros sur trois ans, avec des actions en matière d'éducation, de santé, de logement et pour les femmes. Le pays compte 700 000 gitans (1,6 % de la population), selon le gouvernement.
Autre pays méditerranéen, l'Italie accueille de nombreux Roms. 342.200 Roumains y vivent, selon les chiffres officiels, 556.000, selon l'organisation Caritas, en forte hausse depuis 2007. Il n'existe pas de politique systématique d'expulsions contre les Roms, mais des aides au retour sont prévues (billet d'avion, indemnité de voyage de 400 euros et pécule pour la réintégration dans le pays d'origine de 3.000 euros au maximum).
En Grèce, vivent environ 300.000 Roms, la plupart dans des conditions misérables, souvent victimes d'expulsions arbitraires et de violence policière. Malgré des aides sociales provenant des programmes européens, leur intégration reste lettre morte. En 2008, la rapporteuse de l'ONU pour les droits des minorités, Gay McDougall, avait appelé Athènes à prendre des mesures urgentes pour améliorer leur situation "désespérée".
Au Portugal, la communauté tzigane, d'implantation très ancienne, compte environ 50.000 personnes. Il n'existe aucune statistique officielle sur le nombre de "Roms" d'immigration récente. Les étrangers en situation irrégulière peuvent être expulsés du Portugal, sauf s'ils y sont nés, y sont arrivés avant l'âge de dix ans, ou ont des enfants mineurs à charge et scolarisés.
- Europe de l'Ouest et centrale :
En Allemagne, les Roms allemands sont reconnus comme l'une des quatre minorités allemandes. La plupart des autres Roms sont des réfugiés du Kosovo ayant fui la guerre. L'Allemagne les encourage, comme tous les Kosovars réfugiés, à rentrer chez eux avec des aides au retour. Berlin a annoncé son intention de renvoyer "par étapes" au Kosovo quelque 10.000 Roms ne disposant pas d'autorisation de séjour formelle.
En Suisse, quelque 50.000 Roms y vivent, selon la fondation Roma, qui défend leurs droits. "C'est après la 2e Guerre mondiale que la vague principale de l'émigration des Roms est arrivée en Suisse", a indiqué une responsable de la fondation, Cristina Kluck. "Ici, la plupart des Roms ont la nationalité suisse, les autres étant des réfugiés du Kosovo", a-t-elle précisé.
En Pologne : la communauté rom compte entre 12.855 et 50.000 personnes, selon les sources (sur 38 millions d'habitants). "La situation matérielle des Roms polonais est bien meilleure que celle des Roms en Slovaquie ou en Hongrie", selon le président de l'Association des Roms en Pologne, Roman Kwiatkowski. Selon les autorités polonaises, 30 % des enfants roms ne sont pas scolarisés.
En Suède, les Roms, estimés à 50.000 dont la moitié sont arrivés au XVIe siècle, sont l'une des cinq minorités reconnues. Depuis le début de l'année, plus de 50 Roms ont été expulsés. Selon un rapport, 80% des Roms adultes sont sans emploi et une majorité d'enfants ne termine pas l'école primaire.
En République tchèque : la minorité tzigane est estimée à 250.000/300.000 personnes sur 10,4 millions d'habitants. Plusieurs attaques d'extrémistes de droite contre les Roms ont été enregistrés ces dernières années. A la mi-mars 2010, le gouvernement tchèque a adopté un "plan national d'action" visant à encourager la scolarisation des enfants tziganes avec les autres.
Les politiques sont donc très différentes, mais en réalité des principes communs devraient présider ou inspirer les mesures et le traitement de la question des Roms.
RESPECTER LES ROMS ET NON LES CHASSER
La question des Roms ne peut être traitée à la légère, à la va-vite ou avec des objectifs politiciens indignes et sans prendre en compte le respect des droits humains. L'éthique chrétienne est un repère utile dans ces questions et l'église catholique n'a pas manqué de se prononcer sur cette question grave.
Certes Brice Hortefeux et le président de l'épiscopat le cardinal André Vingt-Trois se sont appliqués mardi à calmer le jeu après les critiques de responsables catholiques au sujet de l'expulsion des Roms, parfois considérées comme une intervention hors de propos dans le champ politique. Le cardinal Vingt-Trois a tenu lui-aussi à montrer que l'Eglise n'était pas engagée dans l'opposition frontale aux mesures gouvernementales:. "Nos préoccupations, a-t-il ajouté, viennent d'un certain nombre de cas, dans plusieurs régions de France, où des Rom vivent dans des situations de misère et de déchéance grave" pour lesquels des chrétiens nous ont exprimé leur "émotion". "Nous veillons à ne pas organiser de match politique mais à trouver des solutions justes pour les personnes concernées (...) il faut aider ces personnes à sortir de leur situation", a-t-il insisté.
Le débat autour des prises de position de l'Eglise catholique est né au lendemain du week-end du 15 août. A l'occasion des processions et pèlerinages, plusieurs évêques avaient dit leur émotion à propos du démantèlement des camps de Roms, rappelant le nécessaire respect des droits de l'Homme et de la personne. Le cardinal Vingt-Trois, depuis la basilique de Paray-le-Monial, avait rappelé "les impératifs de la solidarité et du partage". "Dans notre vie sociale, ajoutait-il, pouvons-nous prendre notre parti de l'écart croissant entre les citoyens qui jouissent de la sécurité des droits sociaux et ceux qui sont lentement marginalisés et poussés à l'exclusion ?" Mais ces propos avaient pris un tour particulier en raison de l'intervention du pape qui avait - en français - invité
Rappelons que douze millions de Roms, dont au moins 400 000 en France, vivent en Europe et ils représentent dans certains pays plus de 5 % de la population, selon des estimations du Conseil de l'Europe (http://www.coe.int/t/dg3/romatravellers/default_fr.asp) qui rappelle sur son site Internet que : "les expulsions collectives d'étrangers sont interdites par la Convention européenne des droits de l'homme" !
Sources : AFP, Conseil de l'Europe
1. L'Union européenne, dont la Roumanie et la Bulgarie font partie depuis 2007, a consacré le principe de la libre circulation des personnes et du droit au séjour en son sein. Mais contrairement aux autres citoyens européens, les ressortissants roumains et bulgares sont soumis à des dispositions transitoires qui les obligent à obtenir un titre de séjour pour pouvoir exercer une activité professionnelle. Les travailleurs salariés doivent en outre demander une autorisation de travail. Cent cinquante métiersqui connaissent des difficultés de recrutement leurs sont ouverts sans restrictions.
2. Comparatif sur la population rom dans les Etats membres :
http://www.touteleurope.eu/fr/actions/citoyennete-justice/securite-justice/presentation/comparatif-la-population-rom-dans-les-etats-membres.html
Edouard Pflimlin est journaliste et enseigne aussi les relations internationales à l'université de Nanterre.