par Patrick Martin-Genier, le mardi 19 octobre 2010

Le débat sur les Roms qui a pour le moins tendu les relations entre la Commission européenne et la France ne concerne pas, si j'ose dire, que les Roms et le gouvernement français.

La polémique a en réalité comme toile de fond un débat voir un combat plus large et stratégique qui concerne ni plus ni moins que la place des institutions européennes par rapport aux Etats membres.


Une hyper-présidence européenne


Nicolas Sarkozy a fait irruption sur la scène européenne de façon fracassante et a tenté de développer au niveau européen la même hyper-présidence qu'il venait de mettre en place au niveau national. Force est de constater qu'en essayant d'imposer son point de vue au niveau européen comme jamais un chef d'Etat n'avait osé le faire depuis de Gaulle, avec un aplomb certain voire une réelle dose de provocation, ses collègues en ont été soufflés voire désarmés, du moins dans un premier temps.

Il faut dire que l'intéressé n'a pas ménagé sa peine lors de la présidence française de l'Union européenne avec la guerre qui menaçait en Géorgie, la crise économique et financière. Pas moins de huit sommets ont eu lieu entre l'Union européenne et ses principaux partenaires, sous présidence française.

Le Président s'était tellement investi qu'il avait, dit-on, cherché les voies et moyens de continuer à exercer de fait cette présidence de l'Union, notamment à travers l'Euro groupe dont il aurait voulu ravir la présidence au Premier ministre luxembourgeois. Mais l'Union a ses propres règles qu'il n'est pas bon de vouloir bousculer…


Remettre les grands Etats au cœur de l'action


On le voit, en se battant pour exercer une influence déterminante dans le fonctionnement de l'Europe, Nicolas Sarkozy a ainsi remis les Etats au cœur de l'action collective, en y introduisant des enjeux politico stratégiques qui manquaient probablement au cours de ces dernières années. En guise d'Etats, il a surtout valorisé les grands Etats en voulant recréer une sorte de " directoire" des grandes nations européennes.

Pendant ce temps-là, les autres institutions européennes soit connaissaient une phase d'affaiblissement soit se cherchaient encore.

La commission européenne, malgré un statut intact sur le plan de son pouvoir juridique et politique, a connu une sorte d'essoufflement sous la présidence Barroso. Il a beaucoup été reproché au président du collège communautaire de n'avoir pas su défendre avec suffisamment de brio une institution attaquée de toute part pour son caractère technocratique. Pour recentrer les débats autour des Etats, il était nécessaire de rabaisser l'exécutif communautaire, surtout au moment où les institutions issues du traité de Lisbonne se mettaient en place au début de l'année 2010.


Une Commission affaiblie… mais qui se reprend


Il a aussi été reproché à José Manuel Barroso de n'avoir pensé qu'à sa réélection à la tête de l'institution, passant par un rôle aussi discret que possible afin de ne pas s'attirer les foudres de certains chefs d'Etat et de gouvernement. M.Barroso réélu, ce dernier n'a pas su remonter le handicap qu'il avait lui-même contribué à créer et rehausser le prestige de la Commission jusqu'à ce qu'il réagisse lors de la violente polémique qui l'a opposée au président français qui l'a poussé au bout de ses retranchements.

La dernière photo "de famille" du dernier conseil européen consacré aux Roms a été précédée de plusieurs éclats de voix qui ont résonné jusqu'au bout des couloirs du bâtiment du conseil des ministres. L'altercation a, semble-t-il, été violente, malgré les dénégations officielles de part et d'autre. Comment aurait-il pu en aller autrement puisque Viviane Reding, commissaire chargée de la justice,des droits fondamentaux et de la citoyenneté, avait fait oser faire une comparaison entre la politique allemande pendant les années trente et l'actuelle politique française vis-à-vis des Roms. Ambiance…

Cette fois-ci, M. Barroso a réagi et cette crise semble avoir sonné le recentrage de la Commission et sa volonté désormais affichée de tenir son rôle : oui la Commission reste la gardienne des institutions, oui elle décidera seule de la suite à donner aux questions posées à la France s'agissant des Roms, oui elle décidera collégialement si elle doit déférer la France devant la cour de justice de l'Union européenne pour infraction à la législation européenne sur la libre circulation en Europe.

Cependant, la Commission a fait savoir vendredi 15 octobre qu'elle renonçait, pour l'instant, à saisir la cour de justice. Nouveau signe de faiblesse ou volonté d'en savoir plus sur ce que fera la France vis-à-vis de la communauté Rom ?

En tout état de cause et comme le faisait récemment remarquer Mme Houtman, chef de la représentation de la Commission européenne à Paris, dans une interview donnée à "Fenêtre sur l'Europe", chacun est dans son rôle et la Commission tiendra le sien désormais.


Le nouveau président permanent du conseil européen


Car la Commission européenne avait beaucoup à perdre et cette institution sent bien aujourd'hui que son pouvoir est contesté de toute part. Par les Etats, on vient de le montrer. Mais aussi par le nouveau conseil européen permanent sous la présidence d'Herman van Rompuy qui, avec la discrétion qui le caractérise, avance doucement mais sûrement.

En choisissant un homme qui n'avait jusqu'à présent pas occupé les rampes de l'actualité, les chefs d'état et de gouvernement espéraient sans doute trouver une personne, certes sympathique et cultivée, mais surtout effacée et qui ne leur ferait pas d'ombre…Tel ne semble pas être l'individu qui aujourd'hui se démène pour faire en sorte que l'Europe parle enfin d'une seule voix, avec notamment Catherine Ashton, la nouvelle "ministre des affaires étrangères" de l'Union européenne.

Étant à la fois vice-présidente de la Commission européenne et ministre des affaires étrangères, Mme Ashton aussi fera évoluer le rôle de la commission et du conseil des ministres.

Mais cette évolution n'est pas terminée. Le futur service diplomatique européen en cours de constitution met face à face les Etats et l'Union européenne pour savoir qui saura placer ses pions au bon endroit.

On le voit, il n'y a pas de débat qui ne soit sans conséquence sur l'équilibre futur des institutions.


Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris. Spécialiste des questions européennes

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