par Claude Emmanuel Triomphe, le mercredi 24 novembre 2010

L'Etat providence, l'Etat social est à la peine en Europe et dans tout le monde industriel. La réforme de retraites, même si elle n'a pas déclenché partout des manifestations « à la française » est difficile à faire avaler. Et il y a fort à parier que celle qui guette nos voisins espagnols ou britanniques ne sera pas exemplaire ! Mais n'est-ce pas tout l'Etat social qui vacille aujourd'hui ? La crise des finances publiques est invoquée, prétextée, par de nombreux pays pour revoir les allocations sociales de toutes sortes. La persistance de la dépression et du chômage dans la plupart des pays européens, à l'exception très notable de l'Allemagne, ne manquera pas de reposer la question des indemnités-chômage. Mais les indemnités maladie, allocations pour les mères et pour les familles, aides au logement sont aussi sur la sellette.


Les réformes engagées par nos Etats vont quasiment toutes dans le même sens et transfèrent aux individus le soin de prendre en charge de nombreuses dépenses sociales, assurées jusqu'à présent par le système de redistribution. La refondation du capitalisme, énoncée et annoncée par les politiques, a de G20 en G8, fondu comme neige au soleil et se contentera, au mieux, de sauvegarder et de nettoyer le système financier. Pour le reste, l'on risque de faire "comme avant", voire pis encore. Quid d'une refonte en profondeur de la fiscalité ? De systèmes redistributifs adaptés aux réalités présentes et à venir ?

Certes, et nous n'insisterons jamais assez, le monde se renverse à un point que les Européens ont du mal à percevoir : tandis qu'ici ou en Amérique du Nord, nous nous débattons dans la crise, en Chine, au Brésil ou en Inde, le débat porte sur la maîtrise de la croissance ! Et c'est bien dans ce contexte qu'il nous faut exister, nous frayer un chemin, nous réinventer. Il est temps de changer nos modèles sociaux nous dit Philippe Askenazy.

Notre dossier sur le secteur de la santé tombe à pic ! Voilà un secteur qui est une sorte de miroir de toute notre société. Alors que nous vivons dans un monde marqué par l'avènement du corps, son périmètre ne cesse de s'étendre. Le secteur médico-hospitalier n'en est plus qu'une composante : montée des thérapies non médicales, club de bien-être, prise en charge des personnes dépendantes, etc... La part des dépenses que l'on y affecte, publiques et privées, contraintes ou volontaires, ne cesse de croître.

Les enjeux de la transformation du secteur de la santé, que cela soit sous l'angle de sa structuration, de l'emploi ou des relations de travail, sont multiples et complexes comme le montre avec beaucoup de finesse William Dab, professeur au CNAM mais aussi ancien directeur général de la santé en France. Ce qui est certain c'est que l'insatisfaction des soignants européens est grande !!! Et si les emplois « verts » sont, avec raison, à la mode, les emplois "blancs" - 20 millions en Europe, deux millions en France - sont devenus un enjeu crucial comme le montre Danielle Kaisergruber : de multiples hôpitaux aujourd'hui sont en situation de pénurie et de tension extrême, ce qui conduit par ailleurs la France, l'Allemagne et les pays nordiques, à favoriser des mouvements migratoires intra et extra européens, problématiques pour les pays d'origine en Europe de l'Est ou en Afrique. Enfin, les mutations de la santé questionnent les structures comme les approches déployées dans les soins aux personnes :

- Faut-il miser sur le public ou le privé ? Sur les coopératives ou les mutuelles ? On le voit avec la Suède ou le Royaume Uni avec un système de santé étatique, largement préservé jusqu'ici, qui pourrait entrer dans une ère de bouleversements très profonds.

- Quid de la relation aux patients que le système hospitalier voudrait essayer de traiter comme un client ?

Retraites, santé, chômage, il est urgent de réinventer plus que de rafistoler. L'Europe aurait en la matière beaucoup à gagner de diagnostics partagés et de propositions qui ne se contentent pas du maître mot privatisations. Mais n'est-elle pas trop fatiguée voire épuisée pour oser d'autres voies ?

Editorial de la lettre Metis du 22 novembre 2010


Claude-Emmanuel Triomphe est directeur de publication et de la rédaction de Metis.

http://www.metiseurope.eu

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