par Philippe Perchoc, le vendredi 10 avril 2009

En parlant de "nouvelles élites", on ne parle pas seulement de l'arrivée de jeunes en politique, mais aussi plus généralement des dissidents qui avaient combattu le régime de l'intérieur ou de l'extérieur et que la chute de celui-ci met au pouvoir. En effet, la chute de l'URSS a fonctionné comme un ascenceur social qui a permis à de nouvelles couches de la société de participer au pouvoir, que ce soit les dissidents comme Solidarnosc en Pologne, une partie des exilés revenus d'Amérique du Nord dans les Pays baltes et une nouvelle génération en politique un peu partout. Quelle est la réalité de ce phénomène ? Est-il durable ? Entre reconversion des élites communistes et soviétiques et arrivée de jeunes politiciens qui n'ont que peu connu l'ancien régime, la situation est plus mitigée qu'il n'y paraît.


Cette mobilité sociale a été renforcée par la "lustration", des lois empêchant ceux qui avaient exercés des fonctions sensibles sous l'ancien régime de devenir fonctionnaires ou de tenir une charge publique.

Quels ont été les effets de cette mobilité ?

Le premier effet est d'avoir créé un mouvement de balancier entre de nouvelles élites (dissidents et jeunes, rentrés de l'exil ou non) et communistes reconvertis. Les premiers ont été taxés d'inexpérience - notamment dans les négociations avec la Russie - et d'idéalisme, les seconds ont été accusés de cynisme. Au final, ils se sont succédés les uns aux autres au pouvoir dans presque tous les pays libérés du communisme.

La Lituanie forme un cas typique de ce mouvement de balancier. La lutte pour l'indépendance - probablement la plus radicale d'URSS - a été menée par deux hommes : le dissident professeur de piano Vytautas Landsbergis et le leader du Parti communiste lituanien Algirdas Brazauskas. Lorsque le premier est devenu Premier ministre, il a adopté une position très radicale vis-à-vis de la Russie et s'est mis à parcourrir le monde pour s'assurer de la reconnaissance de son pays. Les Lituaniens se sont peu à peu détournés de lui, mécontents qu'il ne réussisse pas à négocier le départ effectif des troupes russes et ne s'occupe pas de leur quotidien. C'est ce qui a mené à l'élections de Brazauskas en 1993, considéré comme plus pragmatique et ayant gardé ses réseaux à Moscou. Celui-ci laissa finalement sa place à un exilé, Valdas Adamkus en 1998. Ce dernier avait passé presque toute sa vie aux États-Unis, où il avait fait une fulgurante carrière dans l'administration. Rentré au pays dans les années 1990, il apparut comme un recours face à la nébuleuse politique lituanienne et l'homme capable d'apporter l'appui décisif des États-Unis.

Adamkus, toujours très populaire, ne peut pas se représenter aux élections présidentielles de mai 2009 pour un troisième mandat. Aujourd'hui, la candidate favorite est Dalia Grybauskaite, une économiste brillante formée dans le plus pur style soviétique et qui a mené une carrière internationale depuis 1991 pour devenir finalement Commissaire européenne en 2004.

On voit donc bien que le mouvement de balancier a été fort entre anciens communistes et nouvelles élites en politique. On retrouve les traces de ces alternances en Hongrie mais aussi en Pologne où la Plateforme civique et le PIS incarnent bien ces deux types de parcours.

Le second effet de cette mobilité a été, dans le cas des jeunes élites, une forte européanisation de leurs horizons. Elles sont entrées en politique au moment où leur pays faisait son chemin vers l'Union européenne et elles ont dû rapidement en apprendre les codes. En retraçant les parcours d'un bon nombre d'entre elles, on note bien que beaucoup sont passées à Bruxelles à un moment ou à un autre. L'Union européenne a d'ailleurs mené une politique volontariste en ce sens, notamment en ouvrant un second campus de Collège d'Europe à Varsovie en 1993.

Le troisième effet, paradoxal de cette mobilité, est la forte "reconversion par l'Europe" d'un nombre important des dissidents. Première génération à avoir exercé le pouvoir dans les années 1990, elle a été peu à peu marginalisée dans un certain nombre de pays. Ainsi, depuis 2004, on a retrouvé au Parlement européen de grands dissidents comme Bronislaw Geremek ou Vytautas Landsbergis, expulsés de la scène politique nationale. Il y a d'ailleurs lieu de s'en réjouir car ils apportent une vision et un souffle politique au Parlement européen que celui-ci a parfois perdu en devenant une assemblée très technique.

Tout aussi intéressant, on retrouve au Parlement européen des personnalités politiques interdits de vie politique nationale. C'est le cas de Tatiana Zdanoka, eurodéputée lettone à qui la loi de lustration interdisait de se présenter dans son pays. Elle avait en effet occupé des fonctions éminentes dans le Parti communiste letton et pour cette raison son élections au Parlement européen a été contestée. Elle a pourtant réussi à faire condamner la Lettonie devant la Cour européenne des Droits de l'Homme et à garder son siège à Bruxelles.

On voit donc qu'en parlant de nouvelles élites, on ne parle pas seulement de l'entrée des jeunes en politique, phénomène notable dans la nouvelle Europe. On parle aussi de l'alternance entre dissidents et communistes reconvertis mais aussi de l'européanisation des parcours des élites d'Europe centrale et orientale. Autant de dimmensions que nous aborderons dans ce dossier.

Paru dans la Newsletter de Nouvelle Europe d'avril 2009



Philippe Perchoc est président de Nouvelle Europe

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