par Philippe Herzog, le lundi 19 octobre 2009

La récession est enrayée grâce aux politiques publiques. En quelques mois, tous les États sont devenus keynésiens. Ils ont soutenu massivement la demande, les banques, et fait marcher les amortisseurs sociaux. Les préoccupations se portent maintenant sur la reprise et sa durabilité.


Le spectre d'une reprise sans emploi à l'Occident fait frémir. Il faut réagir et saisir la nécessité d'un investissement social axé sur la formation et la préparation de nouveaux emplois. Deux éléments risquent d'entraver la reprise.

La flambée des dettes publiques à l'Occident est une bombe à retardement ; et le secteur financier est toujours malade. Il va se recapitaliser lentement et nous risquons fort de connaître de nombreuses années de restriction des conditions du crédit. C'est dire que le moteur d'une reprise durable, c'est-à-dire l'investissement, est problématique. Il s'est quasiment effondré dans la récession, et cette chute explique intégralement celle qu'a connu le commerce mondial, comme le montrent les travaux du CEPII. Dans une conférence récente à l'IFRI, chacun était d'accord pour dire que s'il n'y a pas actuellement de remontée du protectionnisme commercial, il y a des risques sérieux d'exacerbation des rivalités entre les puissances capitalistes nationales.

Jamais le besoin d'instituer une coopération politique multinationale et multipolaire n'a donc été aussi grand. À cet égard, il y a de bonnes nouvelles. Le G20 est devenu une institution à part entière – à condition d'augmenter maintenant la représentation de l'Afrique –, et la Chine est devenue un acteur clé du multilatéralisme. Mais ce n'est qu'un début. Par exemple, en matière de régulation financière, les lignes directrices adoptées laissent dans l'ombre des précisions essentielles. On va manifestement instiller de la prudence au sein du système financier, mais il ne semble pas que l'on veuille en changer les fondamentaux.

Au niveau de l'Union européenne, le Conseil de juin a adopté des préconisations du rapport de Jacques de Larosière pour bâtir une supervision financière européenne. Excellente nouvelle, mais il faudra faire attention à l'hypocrisie des gouvernements européens qui ne semblent pas prêts à lâcher leur souveraineté. Au plan international ils s'accordent pour moraliser la finance, mais l'Union n'a toujours pas de représentation propre, et à la différence des États-Unis, elle n'a pas encore de vision commune. Faut-il, dans ces conditions, prévoir une convergence euro-atlantique et globale en 2011, ou plutôt en priorité doter l'Union d'une régulation correspondant à ses besoins et à ses valeurs ?

En matière de dette publique, l'Allemagne vient de prendre un virage : comme la France, elle la laisse courir, tout en réaffirmant son modèle de croissance axé sur l'exportation. La volonté de dynamique européenne est très incertaine, alors même que la Communauté est bien trop faible actuellement pour faire face aux défis du développement durable et de la solidarité. En pleine crise, c'est le FMI qui a dû voler au secours de la Hongrie et de la Lettonie en l'absence de tout fonds de soutien européen. La coordination des politiques économiques nationales n'a été que de surface. La consolidation de l'Union économique et monétaire doit devenir un impératif politique. Nous nous y emploierons.

La ratification du Traité de Lisbonne par l'Irlande est bien sûr un immense soulagement. Lorsqu'on aura levé le grotesque et scandaleux obstacle de la signature de M. Vaclav Klaus, on pourra se consacrer enfin à la promotion des politiques de l'Union. Il ne s'agit pas de cultiver des illusions. Il faudra clarifier le partage des responsabilités entre les différentes Têtes de l'exécutif, si l'on veut éviter que la coopération affichée ne soit que de façade. De nombreux actes communautaires pourront être adoptés à la majorité qualifiée en codécision entre Parlement et Conseil… mais la politique macroéconomique et la fiscalité resteront officiellement du domaine réservé des États nations. Dans le monde d'aujourd'hui, c'est une absurdité : est-ce que les dirigeants en ont conscience ? Dans le programme présenté par M. Barroso au Parlement européen, il y a quelques perles au sein d'un texte assez business as usual. Il envisage une réforme du budget de fond en comble. Ce sera un combat. L'Allemagne risque d'être contre, et ne parlons pas de la Grande-Bretagne. Mais qu'en est-il de la France ? François Fillon a récemment avancé deux idées intéressantes : il faut tout faire pour multiplier les investissements ; et il faut s'accorder sur la répartition des coûts, la France n'ayant pour sa part plus guère de marge de manœuvre en matière de finances publiques. Il faudra lever ces contradictions. La question du budget est indissociable de celle d'une capacité de politique économique commune, des sujets brûlants car la tempête globale sera au moins aussi vive dans la reprise que dans la récession.

Au fond, la difficulté principale est celle de la capacité de nos démocraties à assumer une transformation des modèles nationaux et une coopération digne de ce nom, et à dépasser pour ce faire les conflits de souveraineté. Les dérives visibles de la "démocratie directe" et des "gouvernements représentatifs" sont des gros soucis lorsqu'il s'agit de forger le bien public européen. Nous aurons à cœur de contribuer au dialogue d'intérêt général dans le colloque franco-allemand de la fin octobre, dans les Entretiens économiques européens de décembre, et en renouvelant notre Cercle de députés européens.

Paru le 6 octobre 2009 sur le site de Philippe Herzog

http://www.philippeherzog.org





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