Après le « oui » de l'Irlande le 2 octobre et la ratification par le président polonais Lech Kaczynski le 10 octobre, il ne reste plus au traité de Lisbonne qu'une seule étape à franchir : le président tchèque Vaclac Klauss. A force de suivre les péripéties de ce texte, on en a presque oublié, sur le fond, les changements qu'il introduit
et les questions qu'il pose.
Des progrès dans la prise de décision communautaire
Le domaine de la majorité qualifiée (au Conseil des ministres, dénommé Conseil) s'étend au détriment de l'unanimité. La majorité qualifiée devient la procédure de droit commun au Conseil, d'après l'article 16 du nouveau Traité sur l'Union européenne (TUE), « sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». Les nouveaux domaines à être concernés par la majorité qualifiée sont, entre autres, le règlement définissant les procédures de l'initiative citoyenne (article 24 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, TFE), la politique commune d'asile (art. 78 TFE), la politique commune d'immigration (art. 79), la propriété intellectuelle (art. 118 TFE), etc
Le Parlement européen (PE) accroît son rôle de co-législateur. La « codécision » prend le nom de « procédure législative ordinaire » et voit son domaine d'application s'étendre : sur de nouveaux dossiers, le Conseil doit compter avec le PE. Celui-ci voit aussi son rôle s'accroître en matière budgétaire, sur le volet des dépenses. Le budget doit à présent être adopté par le Conseil et le PE, la distinction entre dépenses obligatoires (DO) et dépenses non obligatoires (DNO) étant abolie. En revanche, le Conseil garde davantage la main en matière de recettes.
Une méfiance envers l'option supranationale
Par rapport à feu le projet de traité portant Constitution, le traité de Lisbonne prend soin d'éviter tout ce qui pourrait assimiler l'Union (qui est à présent dotée de la personnalité juridique) à un Etat ou une construction supranationale en devenir. Les symboles tels que le drapeau ou l'hymne ne sont plus explicitement mentionnés. Le texte préfère parler d'un « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (art. 18 TUE) plutôt que d'employer l'expression Ministre des affaires étrangères.
Le rôle des Parlements nationaux est accru dans le processus décisionnel, mais il semble que ce soit surtout pour contenir les compétences communautaires. En effet, d'après le « Protocole (n° 2) sur l'application des principes de proportionnalité et de subsidiarité » les Parlements nationaux peuvent, à l'occasion d'un projet d'acte législatif, adresser un « avis motivé » aux institutions européennes pour leur exposer pourquoi ils estiment que le principe de subsidiarité n'est pas respecté. Si ce projet est contesté par une majorité de Parlements nationaux, il doit être réexaminé.
Visibilité de l'Europe ou cacophonie en vue ?
Paradoxalement, un des changements souvent vantés peut susciter, a priori, quelque inquiétude. Le Conseil européen (CE), composé des chefs d'Etat et de gouvernement, et qui devient une véritable institution (art. 15 TUE), élira (le texte ne dit pas « en son sein ») son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi. Ceci, entend-on, irait dans le sens d'une plus grande stabilité dans le suivi des dossiers et d'une plus grande visibilité externe de l'Union. Or cette présidence stable pose quelques problèmes à surmonter. D'abord, elle ne concerne pas le Conseil (des ministres) qui, à l'exception du Conseil des affaires générales et du Conseil des affaires étrangères, restera soumis au régime de la présidence semestrielle tournante mâtinée d'une sorte d'association de trois présidences successives. Ensuite, si le Président du CE est une personnalité forte et visible (un « executive president » pour reprendre les termes de Jacques Delors lors d'un débat le 29 septembre dernier au Collège des Bernardins), et pas seulement un facilitateur du travail communautaire (un « chairman »), il risque d'entrer en concurrence avec le Haut représentant, voire avec le Président de la Commission et celui du PE. Plus que jamais, l'Union aura besoin de coordination !
La Commission remise au centre du jeu
Lorsque la définition, selon le traité de Lisbonne, de la « majorité qualifiée » (qui concerne le Conseil, et parfois le CE) entrera en vigueur, le régime actuel de votes pondérés sera remplacé par un système de double majorité. La majorité qualifiée se définira (art. 16 TUE) « comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population ».
Les impacts de cette nouvelle règle de vote sont difficiles à apprécier, parce qu'elle conjugue deux critères (non seulement population, mais aussi nombre d'Etats). Il faut utiliser des outils mathématiques de dénombrement, s'appuyant par exemple sur les travaux de John Banzhaf. Les études existent néanmoins (voir entre autres l'article « Union européenne : quel pouvoir de décision ? » in Futuribles 308) et montrent notamment que l'affirmation selon laquelle le poids de la France passe de 9 % à 13 % est infondée.
L'effet principal de la nouvelle majorité qualifiée est de rendre la prise de décision plus facile (c'était le but recherché). En supposant tous les votes équiprobables, la règle de Lisbonne multiplie par 7 (par rapport au système de Nice) la probabilité d'un accord au Conseil sur un projet d'acte. Or, la Commission garde, dans Lisbonne comme dans Nice, le monopole de l'initiative (art. 17 TUE). En d'autres termes, elle seule a le pouvoir de mettre une proposition de texte sur la table des négociations. Son influence est donc accrue par une règle de vote facilitant l'adoption des propositions et rendant plus difficile les minorités de blocage. La Commission aura les moyens de réactiver la méthode communautaire ; il lui faut à présent de la volonté et des projets.
Paru dans Interfaces d'octobre 2009 de Confrontations Europe
http://www.confrontations.org.
Olivier Lacoste est Directeur des études à confrontations Europe