par Edouard Pflimlin, le mercredi 29 septembre 2010

La réunion des ministres de la défense de l'Union européenne, qui s'est tenue à Gand, les 23 et 24 septembre 2010 n'a pas abouti à de grandes avancées mais elle offre des perspectives en matière d'Europe de la défense.


Comme l'explique le Blog spécialisé sur les questions de défense, Bruxelles 2 : "le ministre de la défense belge Pieter de Crem, a indiqué que les ministres de la Défense s'étaient mis d'accord sur un « cadre de Gand ». Il s'agit de « mettre en oeuvre le traité de Lisbonne entré en vigueur (en 2009) mais qui n'a pas encore eu de traduction sur le plan militaire."

Les ministres de la Défense sont tous d'accord – a-il expliqué pour "demander à Me Ashton de donner mandat à l'Agence européenne de défense, faire, choisir et sélectionner des coopérations futures un inventaire de ce qui peut être réalisé". Elle devra "évaluer les initiatives déjà prises et voir comment d'autres initiatives pourraient, à court terme, être prises pour remplir nos capacités". Pour le ministre clairement, le contexte de la crise économique peut aider à cette redéfinition des tâches. " Nous allons nous servir des coupes franches dans les Etats membres pour coopérer mieux et sur plusieurs domaines."

L'objectif est d'aboutir, "rapidement à des premières décisions, au conseil formel des Ministres de la Défense en novembre (ou décembre)". "les ministres de l'UE veulent du concret. L'agence doit entrer dans l'opérationnel. Certains Etats membres la considèrent comme une agence d'acquisitions. Ce qui n'est pas son rôle"

Le ministre a ensuite indiqué que, concrètement, un des projets envisagés pourrait être d'avoir un corps (wing) "d'hélicoptères multinationaux, à l'image du groupement d'avions stratégiques" (EATC) basé à Eindhoven. "Les NH90 sont interopérables. C'est un atout pour s'ancrer dans l'initiative hélicoptères." a-t-il ajouté. Ce projet "ne viserait pas seulement à gérer les flottes du nouvel hélicoptère NH90 — m'a cependant assuré un interlocuteur au fait de ce dossier —. Il engloberait plus généralement tous les hélicoptères disponibles actuellement et déployables sur le terrain. Ce pool pourrait intervenir dans des « situations très différentes, qu'il s'agisse d'opérations militaires proprement dites mais aussi d'interventions en cas de catastrophes, d'incendies de forêts ou de recherche et sauvetage". (1)

Le ministre de la défense français Hervé Morin a fait part de sa déception mais aussi de ses souhaits pour promouvoir une Europe de la défense en panne ou presque (2) Il appelle à une plus grande ambition européenne.

Quelques prochaines échéances pourraient cependant être l'occasion d'impulser une nouvelle dynamique positive. D'abord la rencontre prévue le 5 novembre du premier ministre britannique Cameron et du président français Sarkozy. Ensuite le sommet des ministres de la défense européen en novembre ou décembre (date à confirmer).

Dans ce contexte, deux travaux universitaires récents peuvent éclairer les voies ou les moyens à utiliser pour faire progresser l'unité européenne en matière de défense.

L'exposé d'un professeur britannique, Julian Lindley-French, pour Chatham House, un think tank sur les relations internationales (3), et un papier plus court de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques à Paris, nous proposent des pistes intéressantes.(4)

Le premier prône clairement une plus grande coopération franco-britannique qui deviendrait le moteur de l'Europe de la défense, l'Allemagne s'adjoignant à ce condominium pour former un triumvirat. Mais le cœur serait bien l'entente franco-britannique car les deux pays représentent la moitié des dépenses de défense des pays de l'Union européenne, rappelle l'auteur. C'est aussi une entente nécessaire pour ces pays face à la montée en puissance du leadership allemand en Europe. Ce serait un moyen de le contrebalancer et donc d'assurer à notre pays et à notre voisin Outre-Manche les moyens de maintenir leur poids sur la scène européenne et internationale. Mais aussi parce que nos deux pays fournissent l'effort de défense européen et manifestent une volonté d'agir dans ce domaine, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne.

La coopération doit être poussée propose l'auteur qui donne plusieurs exemples comme celui du nucléaire militaire où les deux pays ont des intérêts communs et où ils sont les deux seules puissances de l'Union européenne en disposant. Il invite à de plus grandes synergies en matière nucléaire de même que sur le plan industriel où il prône la convergence des industries militaires des deux pays.

Il souhaite aussi que chacun des deux favorise la convergence entre l'OTAN et la PESD pour un bénéfice commun. Les deux pays devant former un nouvel Eurogroupe, mais avec Berlin, pour promouvoir la coopération en matière de défense.

C'est donc très ambitieux, on peut même se demander se demander si ce n'est pas irréaliste par exemple sur le plan nucléaire, voire déjà dépassé quand il propose une coordination en matière de porte-avions, qui a pourtant été rejetée début septembre par les deux pays (lire notre chronique http://www.fenetreeurope.com/php/page.php?section=chroniques&id=0637
). Il a toutefois le mérite d'offrir une vision politico-stratégique ambitieuse et des pistes de discussion.

Autre travail qui offre aussi des pistes et des solutions, on l'a dit, celui de Jean-Pierre Maulny. Il se concentre sur les capacités militaires européennes, dont il montre qu'elles sont grandement menacées par les réductions des budgets de la défense très importantes, en cours ou à venir. Dans ce contexte, il propose que les pays européens fassent converger leurs cultures et leurs approches stratégiques et qu'ils mutualisent leurs capacités notamment dans les domaines du transport stratégique et tactique, du ravitaillement en vol, de la fonction de surveillance, du C3 (command, control, communication) en opération…

Il souligne aussi la nécessité de "bâtir des modèles industriels nationaux s'intégrant dans un modèle européen". "Il est urgent, dit-il, aujourd'hui que l'Union européenne bâtisse un modèle capacitaire industriel de défense. Cela suppose au préalable que l'on définisse ce que doit être l'autonomie stratégique technologique et industrielle européenne."

Cette convergence procède d'une nécessité impérative : "Nos moyens budgétaires ne nous permettront plus de tout réaliser au niveau national, il faut accepter des solutions d'interdépendance au niveau européen. Cette évolution est d'ailleurs sans doute antinomique avec le maintien d'une compétition entre industriels européens. Le modèle industriel futur sera un modèle où les regroupements se poursuivront, les monopoles européens se multiplieront, la compétition se déroulant plutôt dans un cadre transatlantique ou au niveau mondial que dans un cadre européen ( …) Les solutions ne peuvent plus être trouvées dans un cadre national, ce qui demande une réelle volonté politique au regard du faible désir d'Europe aujourd'hui. De ce fait les solutions théoriques ou dogmatiques doivent être écartées, au profit de solutions pragmatiques et innovantes."

L'Europe de la défense peut donc progresser si les hommes politiques européens se mettent d'accord, en particulier les deux ou trois grands acteurs de la défense que sont la France, le Royaume-Uni et dans une moindre mesure l'Allemagne. Le temps de crise actuel est propice à des solutions innovantes nécessaires pour mieux utiliser des budgets militaires contraints et faire progresser l'unité politique de l'Europe, indispensable "si les Etats membres et l'Union européenne elle-même veulent continuer à peser sur la scène internationale".

Sources :

(1) http://www.bruxelles2.eu/europe-de-la-defense/defense-ue-droit-doctrine-politique/le-cadre-de-gand.html

(2) http://www.bruxelles2.eu/europe-de-la-defense/defense-ue-droit-doctrine-politique/herve-morin-leurope-est-en-train-de-devenir-un-protectorat.html

(3) Britain and France. A dialogue of decline ? Anglo-french Co-operation and implications for the European and Euro-Atlantic Security and Defense Relationships. September 2010
http://www.chathamhouse.org.uk/publications/papers/view/-/id/936/

(4) L'Union européenne et le défi de la réduction des budgets de défense. Jean-Pierre Maulny/ Directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). IRIS. Septembre 2010.
http://www.iris-france.org/docs/pdf/notesiris/2010-09-10-ni-budget-defense.pdf



Edouard Pflimlin est journaliste, auteur notamment de : "Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne", Fondation Robert Schuman, 2006.

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